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    "Si les voyages forment l'âge mûr. je peux dire que je suis bien fait. Craquelure!comme j'ai voyagé! pour m'instruire, pour accroître toutes mes connaissances! Comme j'en ai vu des hôpitaux. comparé des laboratoires! épluché les comptes des nurseries... vu fonctionner des belles casernes! cavalé dans les abattoirs! admiré tant de crématoires! expertisé tellement de laiteries, des " modèles " et des moins propres...de la Gold Coast à Chicago! et de Berg-op-Zoom à Cuba! Je devrais être de l'Institut,tellement qu'on m'a enseigné des choses, des techniques et des pires encore...extraordinairement ennuyeuses!... Comme j'en ai vu des savants, barbus. chauves,postillonneux, bigles... Comme ils m'en ont donné des leçons... d'Harley Street à San Francisco! de Leyden, songeuse aux tulipes, à Port-Lagos en Nigérie... bouillante de fièvre jaune. Je devrais être presque parfait en dix mille matières scientifiques, dont je ne sais plus un traître mot... Je suis vraiment l'un des crétins les plus fieffés de la planète. Ainsi va la vie...On s'est donné un mal inouï pour me sortir de ma torpeur. Comme j'en ai parcouru des maîtres, et tous admirés jusqu'au bout, sur toutes les coutures, des heures et des heures... chacun... des fins cliniciens ventropètes, des hygiénistes si convaincus, si transformateurs, rénovateurs. si prometteurs que simplement leur salive valait déjà le prix des diamants. Irisés mirages! J'en ai vu des cardiologistes! des endocriniens éperdus! des physiopathes sympatologues, et des encore bien plus étranges, plus péremptoires, confusionnistes, superspicaces les uns que les autres... Graine de Dieu!... quel tourment! quelle engeance! Tous les néo-Diafoirus du Progrès moderne ils se sont donné rendez-vous pour éberluer ma pauvre gomme... Ah! ce que j'ai pu les subir!... vertigineux, impérieux, vindicatifs ou miellés... toujours à se prendre,se déprendre... se perdre un peu, s'entortiller... se faire " venir " sur un glaviot, sur une pelure de lentille, sur un poil pénien, une sottise, un mot, des heures encore pour une virgule, dans tous les sens... Comme c'est bavard, puéril et fat, étroit, râleux, boudah,inquiet, mégalomane, persécutant, un humble chercheur!... Le pire des cabots, un Sacha, c'est encore qu'une pâle violette auprès d'un loucheur en " micro ", d'un effileur de pipettes... Les pires " m'as-tu-lu " du monde, les plus susceptibles cabotins, les plus irascibles vedettes c'est dans les " Congrès " qu'on les trouve, dans les bagarres de vanité, pour les " Avancements des Sciences ". Faut entendre alors ces gueulements! faut observer ces tours de vache! Ils sont prêts à tous les crimes pour voir leur blaze en compte rendu élogieux. Yubelblat, mon cher patron, c'était son métier tout spécial, son œuvre internationale d'entretenir des relations suivies avec tous les grands ténors de la Découverte... Moi, mon petit a fur personnel, ça consistait à l'aider dans le cours de sa politique, l'approche, la diplomatie, l'art de faire plaisir à tout le monde, à la mère, au père, aux cousins... Tâche bien aride s'il en fut! A travers ces bilieux ingrats au possible... les échecs tournent en vinaigre, en instantanées ruptures, en vexations considérables, diplomatiques... Les savants sont impitoyables sous le rapport vanité...C'est pas, croyez, une petite pause que de rassurer un savant, de bien lui ancrer dans le cassis, que c'est bien lui le premier du monde, le tout excellentissime, qu'on en connaît pas deux comme lui... sous le rapport intuition... bouleversantes synthèses... probité..."

    "Bagatelles pour un massacre"  -  L-F Céline *

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