• De l’Être-Humain mâle et femelle (5)

    Soyez donc franchement, entièrement anarchiste, et non pas quart d’anarchiste, huitième d’anarchiste, seizième d’anarchiste, comme on est quart, huitième, seizième d’agent de change. Poussez jusqu’à l’abolition du contrat, l’abolition non seulement du glaive et du capital, mais de la propriété et de l’autorité sous toutes formes. Arrivez-en à la communauté-anarchique, c’est-à-dire l’état social où chacun serait libre de produire et de consommer à volonté et selon sa fantaisie, sans avoir de contrôle à exercer ou à subir de qui que ce soit ou sur qui que ce soit; où la balance entre la production et la consommation s’établirait naturellement, non plus par la détention préventive et arbitraire aux mains des uns ou des autres, mais par la libre circulation des forces et des besoins de chacun. Les flots humains n’ont que faire de vos digues ; laissez passer les libres marées : chaque jour ne les ramènent-elles pas à leur niveau ? Est-ce que j’ai besoin, par exemple, d’avoir en propre un soleil à moi, une atmosphère à moi, un fleuve à moi, une forêt à moi, toutes les maisons et toutes les rues d’une ville à moi ? Est-ce que j’ai le droit de m’en faire le détenteur exclusif, le propriétaire, et d’en priver les autres, sans profit même pour mes besoins ? Et si je n’ai pas ce droit, ai-je donc plus raison de vouloir, comme avec le système des contrats, mesurer à chacun – selon ses forces accidentelles de production – ce qui doit lui revenir de toutes ces choses ? Combien il devra consommer de rayons de soleil, de cubes d’air ou d’eau, ou de carrés de promenade dans la forêt ? Quel sera le nombre de maisons ou la portion de maison qu’il aura le droit d’occuper ; le nombre de rues ou de pavés dans la rue où il lui sera permis de mettre le pied et le nombre de rues ou de pavés où il lui sera interdit de marcher ? – Est-ce que, avec ou sans contrat, je consommerai plus de ces choses que ma nature ou mon tempérament le comporte ? Est-ce que je puis absorber individuellement tous les rayons du soleil, tout l’air de l’atmosphère, tout l’eau du fleuve ? Est-ce que je puis envahir et encombrer de ma personne tous les ombrages de la forêt, toutes les rues de la ville et tous les pavés de la rue, toutes les maisons de la ville et toutes les chambres de la maison ? Et n’en est-il pas de même pour tout ce qui est de consommation humaine, que ce soit un produit brut, comme l’air ou le soleil, ou un produit façonné, comme la rue ou la maison ? A quoi bon alors un contrat qui ne peut rien ajouter à ma liberté, et qui peut y attenter, et qui bien certainement y attenterait?

    Et maintenant, pour ce qui est de la production, est-ce que le principe actif qui est en moi en sera plus développé parce qu’on l’aura opprimé, qu’on lui aura imposé des entraves ? Ce serait absurde de soutenir une pareille thèse. L’homme appelé libre, dans les sociétés actuelles, le prolétaire, produit beaucoup mieux et beaucoup plus que l’homme appelé nègre, l’esclave. Que serait-ce s’il était réellement et universellement libre : la production en serait centuplée. – Et les paresseux, direz-vous ? Les paresseux sont un incident de nos sociétés anormales, c’est-à-dire que l’oisiveté ayant les honneurs et le travail les mépris il n’est pas surprenant que les hommes se lassent d’un labeur qui ne leur rapporte que des fruits amers. Mais à l’état de communauté-anarchique et avec les sciences telles qu’elles sont développées de nos jours, il ne pourrait rien y avoir de semblable. Il y aurait bien, comme aujourd’hui, des êtres plus lents à produire que d’autres, mais par conséquent, plus lents à consommer, des êtres plus vifs que d’autres à produire, par conséquent, plus vifs à consommer : l’équation existe naturellement. Vous en faut-il une preuve ? Prenez au hasard cent travailleurs parmi les travailleurs, et vous verrez que les plus consommateurs sont aussi les plus producteurs. – Comment se figurer que l’être-humain, dont l’organisme est composé de tant d’outils précieux et de l’emploi desquels il résulte pour lui une foule de jouissances, outil du bras, outil du coeur, outil de l’intelligence, comment se figurer qu’il les laisserait volontairement ronger par la rouille? Eh quoi! à l’état de libre nature et de merveilles industrielles et scientifiques, à l’état d’exubérance anarchique où tout lui rappellerait le mouvement et tout mouvement la vie. Eh quoi ! l’être-humain ne saurait chercher le bonheur que dans une imbécile immobilité ? Allons donc ! Le contraire seul est possible.

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