• Décembre 1959

     

    1er décembre


    J'ai rêvé que mon corps vieillissait tellement qu'alors que je n'ai que vingt-trois, les gens pensaient que j'en avais quarante.


    Vendredi, 18 décembre


    Effrayant amour de l'argent. Tous les éléments semblent être réunis pour aboutir à ma cupidité: le signe du Taureau, la race juive et mon enfance malheureuse et humiliante. Je lutte de toutes mes forces. Quelle chose terrible que les désirs que l'on méprise.
    Et que se passerait-il si j'acceptais mon amour de l'argent et de la gloire (gloire au sens où l'on en parle dans des revues du type de Paris-Match). Non. Je dois lutter avec moi-même. En fait, le monde de l'argent, c'est le monde de ma famille. Ce que je veux, sans doute, c'est qu'ils m'acceptent: et avoir de l'argent, en gagner ou en obtenir est la seule façon de gagner leur admiration.
    Mais reste le signe du Taureau, la race juive, l'enfance malheureuse.
    Problème de mon esprit qui tourne à blanc. Mon intelligence ne fonctionne que lorsque quelque chose me fait « régresser » au sens psychanalytique du terme : à ce moment-là, en deux minutes, je peux tisser une histoire parfaitement logique, belle et séduisante à partir d'un épisode de l'enfance que je n'ai jamais vécu, mais dont je rêve et qui me manque (?) En général, les stimulations viennent de scènes dans la rue ou dans l'autobus, de petits garçons ou de petites filles avec leurs mères, lesquelles manifestent de l'inquiétude et du souci pour leurs enfants, ou bien les pleurs d'un enfant que j'entends depuis ma chambre, ou d'autres choses du même genre. Dans ces cas-là, je plonge, je chute, je me précipite, j'ai successivement une heure, un jour, six mois, huit ans, quatorze et vingt-trois ans en dix minutes. Jusqu'à ce que je me « réveille», que je m'approche du miroir et que je m'imagine à quarante ou quarante-cinq ans, en mendiante folle, maniaco-dépressive, en train de s'enfoncer à jamais dans le même et éternel délire. Mon Dieu ! Mon Dieu !
    Je me dégoûte, je me méprise, je me répugne et je pleure jusqu'à ce que mes pleurs me conduisent à imaginer un autre épisode, cette fois à caractère masochiste, mais qui se termine bien, avec les bras et les baisers profonds d'une mère au visage de sphinx, une sorte de Vierge Marie silencieuse, à la fois magique et toute puissante, qui n'aime personne que moi, celle-là même que je ne suis pas, car je ne suis qu'une pauvre névrosée, dont les ambitions et les projets ne se réaliseront jamais.
    Statisme de mon esprit. Son immobilité de pierre. Absence absolue de pensées. D'où le bégaiement.
    Manque de spontanéité.
    Mais pas besoin d'extérioriser spontanément car à l'intérieur il n'y a rien. Rien que silence et douleur.

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