• Deux soeurs derrière leur fenêtre

     

     

    Beaucoup les ont aperçues ainsi, les deux sœurs, derrière leur fenêtre sans rideau ni volet, avalant, sous I' ampoule qui pendait des poutres noires, cette soupe plus sombre que du sang et qui leur faisait baisser la tête, les coudes bien posés sur la table afin de combattre, I' une la fatigue et le sommeil, I' autre cette griserie qui la faisait rire en s'étouffant, soir après soir, dans le silence qui montait avec la nuit et le froid, comme si elle eût redouté le regard harassé de sa cadette qui, à ce moment, n'écoutait sans doute plus que la rumeur de ses songes, les yeux fixés sur I' innocente mais voyant bien autre chose, par delà les murs trop blancs et humides, par delà la fatigue et le fait d'être une Piale, d'avoir à garder sa dignité devant un maître d'école, un Éric Barbatte, un Thaurion, ou un patron d'usine - oui, d'être une Piale, murmurait Yvonne, c'est-à-dire à peine plus qu'une brève syllabe clamée à ras de terre et vite dissipée dans le grand souffle des vents qui raclent le granit, quelque chose qui dure pourtant bien plus longtemps dans son piaulement bref et plaintif que les visages qu'elle nomme, cette syllabe de chair qui n'aurait bientôt plus que trois filles pour I' arborer ; et c'était sans doute ça le destin d'une Piale : une syllabe avant la nuit, et le silence, I' ultime bruit étouffé par le silence qu'auraient fait sur cette terre trois petites femmes sans postérité.

    "L'amour des trois soeurs Piale"  Richard Millet

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