• III - NOTRE-DAME DE LA POURRITURE (1) 3/4

     

    Il faut être religieux sans religion. Se sentir accablé par les forces sacrées du rituel cosmique, deviner ce que j’appellerais la « Béantitude » du monde, s’éberluer de toutes les causalités, s’offrir à l’agonie universelle. Les religieux en général sont ceux qui sont le moins sensibles à tout ça parce qu’ils mettent au centre, dans le nœud pourri, une entité consolatrice qu’on ose de plus en plus réappeler : Dieu. Ils ne peuvent admettre que ce n’est pas une intelligence qui guide les colonies organisées de termites, les singes sournois, les communistes, les buses, les cocus, les artistes peintres… Ils ont besoin de Dieu (et de son absence) pour tout trouver divin. Comme si Dieu avait quelque chose à voir avec quelque mysticité que ce soit !
     Croire en soi, ne pas croire qu’on va mourir, savoir qu’on est né, tout ça c’est croire en Dieu. Et encore, le fait de croire n’a en soi que très peu d’importance : il ne s’agit pas de « croire ». Dieu n’est pas une espèce de Père Noël. Pour certains, c’est un moi paternel. C’est Dieu qui permet de ne pas se prendre pour lui. Depuis la naissance, on croit être ce que les autres un jour nous apprennent de Dieu. Comme tout le monde, quand j’ai entendu parler de Dieu pour la première fois, j’eus alors l’atroce révélation qu’il ne s’agissait pas de moi. Ce fut une de ces annonciations qui vous mastiquent toutes les fissures.
     Je n’ai pas plus besoin de Dieu que de la religion. Toutes les croyances ne sont que la prolongation de la souffrance de l’homme à ne pouvoir tout sacraliser. Toutes les églises sont des écoles du sacré où l’on apprend aux impotents du miracle, aux handicapés de la magie, les secrets de la Sublimation. Incapables de donner eux-mêmes, sans le vouloir, naturellement et sensuellement, un sens sacré aux choses, de s’engloutir extatiquement dans tous les symboles du Mystère Cosmique, les larves hominiennes se réunissent dans des nefs pour se morfondre la carcasse, s’étrangler le chapelet. Quand on est incapable d’assister à sa vie, alors on peut aller à l’église : on ne mérite que ça.
     J’ai d’autant plus le sentiment du divin que je n’ai pas celui de Dieu. Exécrant tout ensemble les cléricaux et les athées, les positivistes et toute l’Église, polythéiste et fasciné par la plupart des questions chrétiennes, idolâtre et antichrist, hérétique et mystique, antisceptique et infidèle, ignare et passionné, je ressemble à un hérisson théologique complètement hirsute. C’est peut-être même dans ce bordel enfantin que je me retrouve, que je peux pratiquer ma non-croyance, si j’ose m’exprimer comme ça.
     J’ai trop de souffrance pour être païen, trop de mythologie pour me trouver chrétien. Je n’aime que les saints et les anges. Tout ce qui est théâtral dans l’Église est justement ce qui me paraît le moins suspect, le plus authentique. L’Idée d’un Doge me rend fou de joie. Une soutane dans la rue me gâche ma journée. Je peux difficilement rester une journée sans penser aux pertes de la Vierge. Je m’amuse quelquefois à me croire juif, comme les enfants jouent aux aveugles en fermant les yeux. J’exècre le sacrifice et la contrition, le pardon et la charité. Je ne crois pas en la foi. Je suis le plus vulnérable aux révélations et aux annonciations. Je hais tous les athées. Tout ce qui est paillard chez les Grecs me dégoûte. Je voudrais aligner ici toutes mes contradictions, comme on découpe dans un journal les caractères d’une lettre anonyme. Je ne veux pas me rassurer sur mon incohérence. *

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