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Je me suis réveillé.
J'aurais voulu devenir réaliste, imbécile. Ou fou. Mais je ne suis plus maître de mon supplice. Me renier? Je ne peux plus. Au moins je ne crie pas, je ne pleure pas. J'avance dans une forêt de couteaux. La mort est là, vraiment, je la vois, je la regarde en face. Est-ce moi qui l'appelle? Écoutez. Elle n'a pas le visage qu'on lui donne. Non, non, elle ne grimace pas, elle ne tient pas de faux à la main, rien de macabre. Elle est l'honneur unique, notre dernière chance d'être digne. Elle est le prix de ma vie, son couronnement. Elle me ramène à Dieu, peut-être... O mort... O nuit! Tous les nœuds se défont, j'entends les chaînes se fendre, on m'arrache à moi-même, je m'éloigne... Je ne ris pas. Mais je ne suis pas lugubre. Ce n'est pas le néant, ce n'est pas l'oubli que j'appelle. Je ne suis pas revenu de tout, je ne m'en retourne pas, je ne reviens pas sur mes pas. Peut-être que je n'espère plus rien pour moi, peut-être ai-je senti un sol nouveau, avec ses crevasses de terre brûlée, sa nudité terrible, sous paysage de bout du monde. Si j'avais vu, en me retournant, que mon bonheur ne me suivait plus? Cela ne vous regarde pas. Espérez comme moi. Que j'espère pour moi ou non, qu'est-ce que cela fait? J'espère pour vous, pour le reste. Où que je sois, je croirai toujours à tout. Oh! je ne suis pas un désabusé, un sceptique, je mourrai en croyant que tout pouvait être sauvé.
Journal, 1958 - Jean-René Huguenin *
Tags : moi, espere, regarde, mort, appelle
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