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    18 juin

    J'ai complètement abandonné mes études. Je travaille. Je n'aime pas travailler. Je ne veux rien. Je veux mourir. Voilà, etc. etc.
    «Tu es amoureuse de la mort» a dit Roberto( Roberto Yahni: ami d' Alejandra Pizanik, qu'elle avait rencontré à l'Univerité) J'ai rougi.
    Toujours. Toujours. Belle parole.

    24 juin

    Je devrais peindre. La littérature est temps. La peinture est espace. Je hais le temps et voudrais l'abolir. Non, finalement, même la peinture ne me convient pas. Je veux pouvoir m'exprimer à travers un art qui soit comme un hurlement dans l'obscurité, terriblement bref et intense comme la mort.

    29 juin, dimanche

    Investigation et recherche autour de la poésie. Je me mets à G6ngora.
    Dostoïevski: lire plusieurs fois Les frères Karamazov: voir leur lien avec la psychanalyse.

     

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  • 20 Mai 1959

    Samedi, on m'a opérée. Crise d'appendicite aiguë. J'ai eu horriblement mal. Je n'étais pas du tout préparée à une telle douleur. Mais j'ai bien supporté les choses, trop bien peut-être. Lors de l'opération, le chirurgien a d'ailleurs fait remarquer: « comme cette petite est résistante». En fait, je me sens capable de supporter patiemment de grandes souffrances physiques. (Réfléchir à ma patience-physique- et à mon impatience intime). Je suis encore faible. L'interdiction de fumer m'anéantit. Je découvre combien la cigarette m'est indispensable.L'en vie de fumer est plus forte après [rayé]. La fumée, le goût aigre, triste, nostalgique et prometteur de la cigarette me manque.Et elle me manque plus encore, quand j'ai une sensation de [biffé], qui ne pourrait être dissipée que par la fumée. Je vais pourtant essayer de manger le moins possible: je suis très effrayée par les complications -1' opération et tout le reste - qu'a entraînées mon alimentation
    destructrice de ces derniers mois.

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    JANVIER 1959


    3 janvier
    J'ai laissé tomber la psychanalyse.Je ne sais pas pour combien de temps. Je vais très mal. Je ne sais pas si je suis névrosée, ça m'est égal. J'ai simplement une sensation d'abandon absolu. De solitude absolue. Je me sens toute petite, une toute petite fille. Et tout le monde m'abandonne. Absolument tout le monde. À présent, ma solitude est faite de chimères amoureuses, d'hallucinations... Je rêve d'une enfance que je n'ai pas eue, et je me revois heureuse - moi, qui ne l'ai jamais été. Quand je sors de ces rêves, je n'existe plus au regard de la réalité extérieure et présente. Il n'y a jamais eu autant de distance entre mon rêve et mon action. Je ne sors pas, je n'appelle personne. Je purge une étrange
    pénitence. Mon cœur me fait funestement souffrir. Tant de solitude. Tant de désir. Et la famille qui me tourne autour, qui me pèse avec ses horribles problèmes quotidiens. Mais je ne les vois pas. C'est comme s'ils n'existaient pas. Quand ils s'approchent de moi, je sens des ombres qui m'ennuient. En fait, presque tous les êtres m'ennuient. J'ai envie de pleurer. Je le fais. Je pleure parce qu'il n'y a pas d'êtres magiques. Mon être ne tremble devant aucun nom, devant aucun regard. Tout est pauvre et vide de sens. Ne disons pas que je suis coupable de cela. Ne parlons pas de coupables. J'ai pensé à la folie. J'ai pleuré en implorant le Ciel de devenir folle. Ne plus jamais sortir des rêves. C'est mon
    image du paradis. Je n'écris presque pas d'ailleurs. Il y a pourtant un désir d'équilibre. Un désir de faire quelque chose de ma solitude. Une solitude orgueilleuse, industrieuse et forte. Étudier, écrire et me distraire. Tout ça, seule. Indifférente à tout et à tous. 

    6 janvier
    J'ai rêvé que je vivais au début du siècle. Ma « connaissance » de certaines coutumes m'a étonnée.


    15 janvier
    Peut-être suis-je en train de devenir folle. C'est ce que je souhaite, en effet, je le souhaite autant que la mort. Je ferme les yeux et je rêve de folie. :Être pour toujours avec les désirs les plus chers, qu'ils aient pour nom paradis, ventre maternel ou ce que le diable voudra.
    «Loin! loin de l'immonde cité*! Loin des villes où l'on achète et où l'on vend». Là, une petite fille nommée Alejandra apprendrait à sourire moins amèrement.
    J'ai pensé: à quoi bon désirer que mes angoisses dis paraissent? Accepter la fatalité de certains êtres. Je suis née pour souffrir. C'est aussi simple que ça. Ça fait mal.
    Je veux étudier, je veux apprendre, je veux écrire. J'ai vingt-deux ans. Je ne sais rien. Rien de fondamental. Je ne sais pas ce que j'aurais dû apprendre il y a long temps. Personne ne m'a rien appris. Je sais, en revanche, ce que j'aurais dû savoir bien plus tard. D'où le fait que je me sente à la fois vieille et toute petite. 

    Alejandra Pizarnik

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