• La colère des imbéciles

     

    La colère des imbéciles remplit le monde. Il est tout de même facile de comprendre que la Providence qui les fit naturellement sédentaires, avait ses raison pour cela. Or, vos trains rapides, vos automobiles, vos avions les transportent avec la rapidité de l'éclair. Chaque petite ville de France avait ses deux ou trois clans d'imbéciles dont les célèbres "Riz et Pruneaux" de Tartarin sur les Alpes nous fournissent un parfait exemple. Votre profonde erreur est de croire que la bêtise est inoffensive, qu'il est au moins des formes inoffensives de la bêtise. La bêtise n'a plus de force vive qu'une caronade de 36, mais une fois en mouvement, elle défonce tout. Quoi! nul de vous pourtant n'ignore de quoi est capable la haine patiente et vigilante des médiocres, et vous en semez la graine aux quatre vents. Car si les mécaniques vous permettent d'échanger vos imbéciles non seulement de ville en ville, de province en province, mais de nation à nation, ou même de continent à continent, les démocraties empruntent encore à ces malheureux la matière de leurs prétendues opinions publiques. Ainsi par les soins d'une Presse immense, travaillant jour et nuit sur quelques thèmes sommaires, la rivalité des Pruneaux et des Riz prend une sorte de caractère universel dont M.Alphonse Daudet ne s'était certainement pas avisé.
    Mais qui lit aujourd'hui Tartarin sur les Alpes? Mieux vaut rappeler que le gentil poète provençal qu'éleva tant de fois au-dessus de lui-même la consommation de la douleur, le génie de la sympathie, rassemble au fond d'un hôtel de montagne une douzaine d'imbéciles. Le glacier est là tout proche, suspendu dans l'immense azur. Personne n'y songe. Après quelques jours de fausse cordialité, de méfiance et d'ennui, les pauvres diables trouvent le moyen de satisfaire à la fois leur instinct grégaire et la sourde rancune qui les travaille. Le parti des Constipés exige, au dessert, les pruneaux. Celui des Dévoyant tien naturellement pour le riz. Dès lors, les querelles particulières s'apaisent, l'accord se fait entre les membres de chacun des groupes rivaux. On peut très bien imaginer, dans la coulisse, l'amateur ingénieux et pervers, sans doute marchand de riz ou de pruneaux, suggérant à ces misérables une mystique appropriée à l'état de leurs intestins. Mais le personnage est inutile. La bêtise n'invente rien, elle fait admirablement servir à ses fins, à ses fins de  bêtise, tout ce que le hasard lui apporte. Et par un phénomène, hélas! beaucoup plus mystérieux encore, vous la verrez se mettre d'elle-même à la mesure des hommes, des circonstances ou des doctrines, qui provoquent sa monstrueuse faculté d'abêtissement.

    "Le Grand Cimetière sous la lune" Bernanos

    « Wintersun - Loneliness (Winter) Official Lyric VideoSerge Gainsbourg, entre les murs - Un jour, un destin - Portrait - Documentaire complet - MP »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :