• La mémoire (12)

    La mémoire m'est restée de ces promenades que je faisais, enfant, dans une cour de lumière. Je porterai toujours en moi la joie qui me venait d'une vue sur les extases d'un ciel neigeux, et je trouverai toujours plus de merveilles sur la feuille d'air bleu découpée par une fenêtre que dans toutes les toiles peintes, encadrées de moulures dorées, du musée du Louvre. Une maison ne sera jamais pour moi ce qui s'entasse à l'intérieur, mais ce qu'on voit à ses fenêtres quand on y vit. Celle où je suis aujourd'hui a ainsi pour grâce suffisante la fièvre des feuillages des bouleaux devant les fenêtres.
    Les nuages passent devant la fenêtre du salon sans s'arrêter. La joie qui rayonne de leur lenteur, de leurs métamorphoses, de leur velouté, toute cette joie déborde d'eux, tombe de leurs chariots neigeux aux roues lumineuses et s'entasse dans mon coeur. Mon enfance n'a jamais eu d'autre substance que cet amour pour une lumière qui sans fin m'abandonnait et sans fin revenait vers moi. J'ai toujours repris courage en regardant le ciel par une fenêtre. Il est si beau lorsqu'il éclaire un bâtiment de briques orangées ou des toits d'usine - comme si un seigneur se mettait au service d'un gueux. Mon coeur est tapissé de blanc par tous les nuages que j'ai vus passer au-dessus du Creusot. Il y a quelque chose d'ennuyeux dans tout spectacle, qui ne se trouve jamais dans les miracles surabondants du ciel pauvre.
    La carte du quotidien, quand on la défroisse, présente les mêmes sentes et les mêmes reliefs que la carte de l'éternel.

    C. Bobin "Prisonnier au berceaux"

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