• La Source

    Hors de la terre au bord de la grande route. Elle était entourée d’arbres, encadrée d’une herbe épaisse. Ses eaux, pures comme des larmes, étaient recueillies dans un bassin creusé dans la pierre d’où le trop-plein débordait pour former un ruisseau qui, rapide, courait à travers un pré.

    Les voyageurs reprirent haleine, à l’ombre, près de la source dont ils burent les eaux. Juste au-dessus d’elle une pierre était dressée, sur laquelle ces mots étaient écrits :

    Que cette source soit ton modèle !

    Les voyageurs ayant lu l’inscription, se demandèrent quel pouvait bien en être le sens.

    L’un d’eux, un marchand évidemment, dit :

    – C’est là un bon conseil. La source coule sans arrêt, elle va loin, elle recueille l’eau d’autres sources, elle devient une grande rivière. L’homme doit, comme elle, s’occuper sans cesse de ses affaires ; s’il le fait, il ne connaîtra que les succès et amassera beaucoup de richesses.

    Le second voyageur était un jeune homme.

    – Non, dit-il. Selon moi, l’inscription signifie que l’homme doit garder son cœur des mauvaises pensées et des désirs mauvais, afin de le conserver aussi pur que l’eau de cette source. Telle qu’elle est, son eau, à ceux qui, comme nous, se reposent auprès d’elle, donne de la joie et leur rend des forces. Tandis que ce ruisseau pourrait bien parcourir toute la terre, si son eau était trouble et sale, quel service rendrait-il et qui s’y désaltérerait ?

    Le troisième voyageur, un vieillard, sourit et dit :

    – Ce jeune homme a dit vrai. Et voici la leçon que nous trouvons ici : à qui a soif, la source est toujours prête à donner son eau pour rien ; elle dit à l’homme : fais du bien à tous, que tes dons soient gratuits et n’attends en retour ni reconnaissance, ni récompense.

     

    Léon Tolstoï Contes et nouvelles *

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  • Commentaires

    4
    Mardi 22 Mai 2012 à 18:59

    L'homme peut progresser bien sûr, au moins jusqu'à son terme. La source, non. Laissons les molécules s'agiter, c'est leur fonction. Je ne les entends ni se plaindre ni applaudir. L'homme s'agite, ses idées s'engluent, le moulin tourne depuis des siècles mais la farine n'est pas meilleure.. Quel divorce entre les progrès techniques, socio-économiques et la stagnation des idées, des morales, des religions.

    Laissons couler les sources, elles ne donnent rien, on s'abreuve. On peut faire de l'anthromorphisme, comme Monsieur de La Fontaine, faire parler les sources, les ânes, les coqs. Chacun trouve ce qu'il peut dans notre monde, et une source , si elle peut être pleine de symboles, n'a pas les capacités de donner, d'offrir; On se sert.

    Mais je suis loin de croire ce que j'écris, n'étant sûr de rien.

     

    3
    Mardi 22 Mai 2012 à 18:15

    Une forme de déterminisme ? Bien sûr une source est une source, et l'homme un homme ; c'est ainsi que leurs molécules sont assemblées. Mais l'homme ne peut-il pas progresser ?

    2
    Mardi 22 Mai 2012 à 17:35

    Je préfère les sources qui restent à leur place; elles coulent simplement sans moraliser celui qui se désaltère. Chacun a une fonction. C'est un constat; il n'y a pas ni à s'en vanter, ni à s'offrir en modèle.

    "Fais énergiquement ta longue et lourde tache, dans la voie où le sort a voulu t'appeler, puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler"  A de V.

    1
    Mardi 22 Mai 2012 à 16:02

    Belle philosophie ! Si nous pouvions nous en inspirer, ne serait-ce qu'un tout petit peu !

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