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    Si intimidée qu'on la suppose, une nation vieille de mille ans reste un être organisé, garde un cœur et un cerveau, ne saurait s'arrêter de penser. Elle a besoin d'un fond d'idées et de sentiments communs, d'une opinion : la république a mis près d'un siècle à le créer. Ayant d'abord abruti de notions contradictoires, de grands mots venus d'ailleurs, puis finalement réduit au silence le peuple autochtone, elle a dû se servir, pour refaire peu à peu ce qu'elle avait détruit, des quelques éléments restés à sa disposition. L'ardente minorité juive, admirablement douée pour la controverse, profondément indifférente à la phraséologie occidentale, mais qui voit dans la lutte des idées, menées à coups de billets de banque, un magistral alibi, devint tout naturellement le noyau d'une nouvelle France qui grandit peu à peu aux dépens de l'ancienne jusqu'à se croire, un jour, de taille à jouer la partie décisive. Mais entre-temps, l'autre France était morte... Tradition politique, religieuse, sociale ou familiale, tout avait été minutieusement vidé, comme l'embaumeur pompe un cerveau par les narines. Non seulement ce malheureux pays n'avait plus de substance grise, mais la tumeur s'était si parfaitement substituée à l'organe qu'elle avait détruit, que la France ne semblait pas s'apercevoir du changement, et pensait avec son cancer !

     
    "La grande peur des bien-pensants"  Georges Bernanos *
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    Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute, lointaine et régulière. De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents qui se déroulent dans ce que l'on appelle les « parties communes », ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s'arrêtent toujours aux paliers. Les habitants d'un même immeuble vivent à quelques centimètres les uns des autres, une simple cloison les sépare, ils se partagent les mêmes espaces répétés le long des étages, ils font les mêmes gestes en même temps, ouvrir le robinet, tirer la chasse d'eau, allumer la lumière, mettre la table, quelques dizaines d'existences simultanées qui se répètent d'étage en étage, et d'immeuble en immeuble, et de rue en rue. Ils se barricadent dans leurs parties privatives - puisque c'est comme ça que ça s'appelle - et ils aimeraient bien que rien n'en sorte, mais si peu qu'ils en laissent sortir, le chien en laisse, l'enfant qui va au pain, le reconduit ou l'éconduit, c'est par l'escalier que ça sort. Car tout ce qui se passe passe par l'escalier, tout ce qui arrive arrive par l'escalier, les lettres, les faire-part, les meubles que les déménageurs apportent ou emportent, le médecin appelé en urgence, le voyageur qui revient d'un long voyage. C'est à cause de cela que l'escalier reste un lieu anonyme, froid, presque hostile. Dans les anciennes maisons, il y avait encore des marches de pierre, des rampes en fer forgé, des sculptures, des torchères, une banquette parfois pour permettre aux gens âgés de se reposer entre deux étages.

    "La Vie mode d'emploi"  Georges Perec

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    Il faut être un barbare sans conscience pour brûler dans son poêle toute cette beauté, pour détruire ce que nous ne pouvons pas créer. L'homme a été doué de raison et de force créatrice pour multiplier ce qui lui était donné, mais, jusqu'à présent, il n'a pas créé, il a seulement détruit. Les forêts, il y en a de moins en moins, les rivières tarissent, le gibier a disparu, le climat est détraqué, et, chaque jour, la terre devient plus pauvre et laide.

    "L'HOMME DES BOIS" Anton Tchekhov

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    En 1823, Schubert fut atteint de graves malaises d’origine syphilitique. Les pharmacopées de l’époque lui procurèrent une apparence de guérison, sur laquelle il se faisait peu d’illusions: “Figure-toi, écrivait-il à un ami, un homme dont la santé ne se refera jamais, et qui, par le chagrin que cela lui cause, voit son état empirer au lieu de s’améliorer.” Le tréponème en effet le minait lentement. Son organisme ne put résister à une typhoïde qui le terrassa en trois semaines. Il n’avait pas trente-deux ans. Il mourut selon différents témoignages en murmurant le nom de Beethoven. (Et la mélodie de Schubert a si bien sa vie propre, elle se déroule avec un tel naturel, elle se suffit tellement à elle-même qu’elle refuse de se prêter aux analyses, aux découpages par segments que Beethoven pratique sur ses motifs. Schubert est un chanteur, Beethoven un constructeur) Il est enterré près de lui dans le cimetière central de Vienne.

    De tous les grands musiciens, Schubert est sans doute celui qui échappe le plus aux définitions et aux catégories. L’un de ses meilleurs exégètes, Alfred Eistein, le voit traditionnellement comme “le classique du romantisme”, ce qui est vrai pour les œuvres, la plupart mineur, où il se rattache à Haydn et Mozart, mais n’a plus grand sens lorsqu’on se réfère à tant d’autres pages prodigieusement émancipées dans leur style comme dans leur esprit.

    Lorsqu’on fait de Schubert un poète hanté par la mort, tantôt s’y abandonnant comme la consolatrice baudelairienne, tantôt désespéré par sa fatalité, on rapproche des œuvres éparses sur toute une carrière, et souvent contemporaines des partitions les plus joyeuses. Si le Voyage en hiver est tragiquement accordé au déclin physique d’un grand malade, le roi des Aulnes, le lied de La jeune fille et la mort datent de 1815 et 1817.

    "Une histoire de la musique : Des origines à nos jours"  Lucien Rebatet

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    “Le matin gris n’apporterait pas la paix. Il devait venir cependant, comme chaque jour, avec son aube aigre, son froid mouillé, ses nuages déchiquetés au-dessus de l’orient, avec son soleil invisible à Paris et ses pas résonnants dans les rues désertes. Il vient donc blanchit le carreau sale, fit retourner sur leur couche trempée les malades dans leur sueur, les couples anciens dans leur rêves solitaires, arrêta le somnambule sur le bord du toit, décrocha le volet rouge du bistro fumeux, ouvrit l’œil du chat pelotonné. ”

    Robert Brasillach *

     

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