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Le dégoût
Déçu, je poursuivis ma route, allant je ne sais où, il n'y avait pas de but, pas de projet, pas de devoir pour moi. La vie avait une amertume répugnante, je sentais le dégoût qui, depuis longtemps, montait en moi, atteindre à sa limite; je ne voyais ma vie me chasser et me rejeter. Furieux, je parcourais la ville grise, où tout me semblait sentir l'enterrement et la glaise humide. Non, aucune de ces oiseaux mortuaires ne se dresserait près de ma tombe, avec sa soutane, son susurrement sentimental, ses chères ouailles. Où que je jetasse mes regards, où que j'envoyasse mes pensées, nulle part une tentation; tout puait l'usure et la pourriture, la satisfaction putride des couci-couça, tout était vieux, morne, fané, usé, épuisé. Grand Dieu! comment était-ce possible? Comment pouvais-je en être arrivé là, moi, l'adolescent ailé, le poète, l'ami des muses, le pèlerin du monde, l'idéaliste ardent?Comment s'étaient-elles doucement emparées de moi, cette paralysie, cette haine envers moi et tous, cette obstruction de tous les sentiments, cette aigreur profonde et haineuse , cette boîte à ordures de la désaffectation et du désespoir?
Hermann Hesse "Le loup des steppes"
Tags : moi, degout, sentiments, couci, vie
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