• LE DÉPART

     

     

    Adressé à mes amis.



    Je pars… et dans vos mains ma main tremble et frissonne ;
    Amis, c’est pour toujours que mon adieu résonne,
    Que mon reg’ard rêveur sur vos traits arrêté
    Se ferme à l’avenir et revoit le passé.

    Je pars !… est-il bien vrai ? félicité perdue.
    Voix même du bonheur qui parlait et s’est lue,
    Tout s’enfuit, tout s’éteint !… Songes menteurs, mais doux,
    De grâce, dites-le, faut-il vous perdre tous ?…
    Faut-il vous perdre, ô soirs écoulés sur la grève
    Au bruit pensif du flot que la vague soulève,
    Vous, épais tourbillons des cigares brûlans,
    Vapeur exaltatrice en nos cerveaux ardens,
    Et qui sortiez, en feu, de nos lèvres émues,
    Quand des lueurs sans nombre étincel aient aux nues ?


    C’en est donc fait ?… Adieu, rêves de liberté.
    Chants joyeux qu’exhalait notre jeune gaîté.
    Douces discussions, intime causerie
    Qui se tissait toujours de gloire et poésie,
    Adieu !... car le bonheur pour moi s’est éclipsé
    Dans l’océan sans fond qu’on nomme : le passé !

    Oh ! souvenez-vous-en, de ce bonheur qui passe
    Ainsi qu’un éclair naît et reluit et s’efface !…
    Oh ! souvenez-vous-en !... il ne reviendra plus…
    Et le souvenir rend les biens qu’on a perdus !…
    Amis pensez à moi, quand, me perdant sur l’onde,
    Je m’enfuis, isolé, chercher un autre monde ;
    Son doux nom est la France, et son bord embaumé

     

    Me vit, encore enfant, sur son sein amené ;
    J’ai foulé ses vallons aux fleurs fraîches écloses,
    Ma bouche a respiré la senteur de ses roses ;
    Oh ! son tiède soleil, l’encens de ses malins
    Souvent ont caressé mes loisirs enfantins

    De rayons enivrants, et d’amour, et de flamme
    El leur image chère est gravée en mon âme.

    Je te quitte à jamais, fille de l’océan
    Dont l’onde, avec amour, te baigne en souriant.
    Bonheur et paix à toi, ma première patrie !
    Je quitte les flots bleus à la face polie.
    Et les nappes d’azur de tes cieux étoilés,
    Et le féerique éclat de les soirs enflammés,
    Et les larges récifs, où la lame, dans l’ombre,
    Jette, aux échos des monts, son accent long et sombre,
    Mais la France, à mes yeux, fait parler l’avenir.
    Oh ! ma vie est pour elle !… à toi ! mon souvenir.

    La brise a déployé son aile sur la houle,
    Au long mât balancé la voile se déroule.
    Le navire s’ébranle et son front écumeux
    Au rivage attentif fait ses derniers adieux ;
    Se berce avec fierté sur la vague qui gronde.
    Puis salue avec grâce, en s’inclinant sur l’onde,
    Et, redressant soudain ses vastes flancs brunis,
    Fend d’un vol d’airain les flots qu’il a blanchis.

     

    Leconte de Lisle *

     

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