• Les marins

     

     
    Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
    Leurs mains crevassées par les chasses marines
    Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
    Portent les songes des frêles brigantines
    Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'Irlande
    Retraités, usant les bancs au levant des chaumières
    Leurs dents mâchonnant des refrains de
    Marie-Galante
    Ils lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturières
    Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
    Leurs crânes pensifs roulent les trésors inouïs
    Des voiliers brisés dans les goémons rageurs
    Et luisent leurs regards comme des louis
    Les vieux de chez moi n'attendent rien de la vie
    Ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
    Mangé la cotriade et siroté l'eau-de-vie
    La mort peut les prendre, noire comme la pinasse
    Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
    Observant le port, le jardin, l'hortensia
    Ils diront simplement aux
    Jeannie, aux
    Maria «Adieu les belles, c'est le branle-bas »
    Et les femmes des marins fermeront leurs volets
     
    Xavier Grall *
    « Découverte d'inédits de Louis-Ferdinand CÉLINE (2021) ДДТ — Тень на стене / A Shadow on the Wall »
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