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V - LES ONLYSONMAKERS (3) 2/4
C’est comme ça qu’il finira. Il transporte déjà avec lui des tonnes d’absence et de nostalgie orientales. Insupportablement lunaire, il vit sur une autre planète, sur deux, trois autres planètes ! (il collectionne les planètes comme son père collectionnait les doubles vies) et sur un perpétuel tapis volant, un paillasson supersonique !…
Avec de tels travers, on se fait vite cocufier par la vie. Mon père s’est toujours fait baiser. Mon père est un enculé. L’Anus en Chou-fleur, le type qui, lorsqu’il reçoit un coup de pied au cul, se retourne pour en recevoir un dans les couilles. Toujours enthousiaste quand il ne faudrait pas et jamais là où il faut… Il trouve tout « formidable », mais en fait il s’en fout éperdument : ses critiques sont toujours à contretemps : c’est grave pour un musicien ! Vous le voyez là, souriant jusqu’au « rond-point » : il est abruti toute la journée, se trompe à chaque mot, hésite le temps de tuer un âne à coups de figue, ne se rappelle de rien, mais si vous avez le malheur de faire un petit lapsus, il le remarque ! C’est exaspérant !
Quand il y a un obstacle sur sa route, au lieu de l’éviter il va droit dessus, mais pas pour s’y affronter courageusement ! Pour l’effleurer seulement, le frôler. Il suffit de voir comment il marche, avançant ainsi par zigzags, il se bute en glissant à toutes les embrasures, dans les armoires, tout…
Mais quoi ! Totalement dénué de psychologie, mon père ne se prononce jamais. De tout, il ne pense rien. Ou ça l’émeut trop pour pouvoir parler ou pas assez pour qu’il en prenne la peine. Pourtant, il peut lui arriver dans un éclair de hasard -de ces sursauts déroutants qui rythment l’inertie de sa nature – de remarquer chez les autres une onde érotique, un mensonge, une astuce, une logique, une complicité quelconque qui m’a échappé : parce que moi, la plupart du temps, je me force à ne comprendre les gens que du bout de la cervelle pour ne pas en être trop écœuré (j’ai trop vu ma mère souffrir de tout saisir), je me grise de la situation pour effacer l’horreur du personnage, j’atténue un peu mon sens de l’observation surdéveloppé, je ne creuse jamais surtout le moment lui-même (le premier degré n’est pas assez littéraire : tout ce que je vis n’est que documentation : la vie entière n’est qu’un immense amas d’archives pour moi)… Lui, mon père Byz, s’il peut rester toute une nuit à converser aimablement avec un superconnard, c’est qu’il oublie le lendemain. Moi je reviendrais sur le lieu du crime et je l’assassinerais d’un coup de souvenir théâtralisé. Tout glisse chez Byzance : c’est merveilleux. C’est sa manière d’échapper à tout : il a porté la fuite là où elle se perd elle-même. Byzance est une sorte d’Allégorie de la Fuite.
C’est le contraire de moi. Depuis qu’il est né, mon père se fuit lui-même. Il ne peut pas supporter de savoir qu’il existe. Rester avec lui-même lui est intolérable. Il se joue à cache-cache jusqu’à se perdre et perdre les autres. C’est une espèce d’aventurier qui se quitte chaque matin. Autant son fils, l’auteur de ces lignes, peut être considéré comme un explorateur dégueulasse de sa propre personnalité jusqu’à ne plus exister vraiment, autant Byzance est un maquisard de son propre caractère, égarant son être, le trompant sans scrupule afin de ne pas en être gêné.
Mon père est un être extrêmement dangereux. Il préfère avoir les emmerdements que d’y penser. Les avoir plutôt que de réfléchir à la solution. Il déteste la réflexion. C’est sa torture. Son truc c’est : Pas d’Emmerdements. Le problème des autres, il l’a réglé immédiatement : il joue au con pour créer un marécage infranchissable. Tout le monde s’embourbe, se noie dedans, et lui, il regarde, impassible. Il ne lèverait pas le petit doigt pour aider quelqu’un à le détester : il aime tout le monde mais il préfère mettre son énergie dans la fuite harassante de sa propre personne. Il n’aime pas l’effort, quel qu’il soit : physique, moral ou intellectuel. Il faut le voir : rampant comme un ver visqueux sur la moquette, en robe de chambre, des journées entières, tandis que dehors trois ouvriers, dont le salaire lui manquera, tondent sa pelouse. On dirait un sultan parfumé, qui se radasse dans ses pierreries. Philosophe inactif et silencieux écroulé dans la soie.
C’est le Roi de la Jungle. Un félin dans une forêt : il mange un morceau et il laisse le cadavre aux autres. Avant qu’on lui arrive à la semelle !… Mon père est un génie de l’art de vivre. Pour lui, le Paradis terrestre, c’est ce que nous avons autour de nous : il évolue dans le monde comme un enfant dans un magasin de jouets. Il est passé au travers de tout allègrement. Il a droit à son chamois de skieur. Ressemblant à un coussin, Byzance plonge à deux mille mètres dès qu’un bruit extérieur arrive près de lui. Ce qu’il écoute le plus facilement, ce sont les conneries, les débilités de cons pendant des heures. Dès que c’est en accord avec ce qu’il pense vraiment, il s’en va. Il est tellement sûr de sa vérité que tout ce qui est valable, il le rejette spontanément : il ne veut rien savoir de ce qui devrait l’intéresser, surtout pas. Il ne faut pas oublier que c’est un type qui, dans l’artichaut, mange les poils : partout il laisse le meilleur, personne ne l’a jamais vu saucer son assiette. Tout ce que peuvent dire les gens passionnants est sans intérêt : il trouve cela aussi inintéressant qu’autre chose. Il apprend davantage de la nullité, des superlarves de rencontre, des jeunes débiles, des mongoliennes, des groupies, des ploucs, des ivrognes, des musiciens épouvantables, des pléiades d’artistes, des ouvriers, des imprésarios, des percussionnistes… *« Nouvelles destructions durant noël 2023 + Occultation du Jubé XIIIe de Notre-Dame de ParisVandalisme artistique (1/2) | ARTE »
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