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    Voici ce que le poète Stuart Merrill répondit à un ami qui le questionnait sur son anarchisme :

    "Que de choses j’aurais à vous répondre au sujet de votre lettre?! D’abord soyez persuadé que vis-à-vis des anarchistes je répudie une étiquette que j’assume devant les bourgeois. L’anarchie étant la dernière forme de la révolte, je suis anarchiste?; et quoique je ne voie nullement le bien que l’assassinat de Carnot, pour prendre un exemple, a pu faire au peuple, je m’obstine à croire que vous, moi, tous ceux qui sont obligés de consentir à la société moderne, sommes de bien plus terribles assassins qu’un Caserio. Car l’épouvantable du mal social de ce siècle, c’est que personne n’est coupable?; nous sommes tous coupables. Et quoique vous ne paraissiez pas goûter la froide dialectique des théoriciens, je vous affirme que ce sont les Marx, les Bakounine, les Guesde et les Grave qui sont les vrais révélateurs de notre commune culpabilité. La société moderne n’est malheureusement pas soumise au jeu de l’amour… et du hasard, mais à la règle de l’intérêt et du calcul. Le problème social se résout en deux phrases?: d’un côté concentration des moyens de production, de l’autre moins-value des forces de travail. Le machinisme en effet, exigeant pour le mettre en œuvre de vastes capitaux préalables, tombe peu à peu aux mains de la caste financière. À cela il n’y aurait pas grand mal si, d’un côté, le machinisme ne diminuait pas la main-d’œuvre et par conséquent sa rétribution, et si d’un autre il n’augmentait pas la production. D’où cette conclusion?: à mesure que nous devenons plus riches, nous devenons plus pauvres. Les pays du laisser-faire, l’Angleterre et les États-Unis, sont de terrifiants exemples de cette contradiction économique."

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    « Hélas ! Qu’est-ce donc que le bien et le mal ! Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d’atteindre à l’infini par les moyens même les plus insensés ? Ou bien sont-ce deux choses différentes ? Oui… que ce soit plutôt une même chose… car sinon que deviendrais-je au jour du jugement ! Adolescent, pardonne-moi ; c’est celui qui est devant ta figure noble et sacrée, qui a brisé tes os et déchiré les chairs qui pendent à différents endroits de ton corps. Est-ce un délire de ma raison malade, est-ce un instinct secret qui ne dépend pas de mes raisonnements, pareil à celui de l’aigle déchirant sa proie, qui m’a poussé à commettre ce crime ; et pourtant, autant que ma victime, je souffrais ! Adolescent, pardonne-moi. Une fois sorti de cette vie passagère, je veux que nous soyons entrelacés pendant l’éternité ; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à ta bouche. Même, de cette manière, ma punition ne sera pas complète. Alors, tu me déchireras, sans jamais t’arrêter, avec les dents et les ongles à la fois. Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour cet holocauste expiatoire ; et nous souffrirons tous les deux, moi, d’être déchiré, toi, de me déchirer… ma bouche collée à ta bouche. O adolescent, aux cheveux blonds, aux yeux si doux, feras-tu ce que je te conseille ? Malgré toi, je veux que tu le fasses, et tu rendras heureuse ma conscience. » Après avoir parlé ainsi, en même temps tu auras fait le mal à un être humain, et tu seras aimé du même être : c’est le bonheur le plus grand qu’on puisse concevoir. Plus tard, tu pourras le mettre à l’hôpital ; car le perclus ne pourra pas gagner sa vie. On t’appellera bon, et les couronnes de laurier et les médailles d’or cacheront tes pieds nus, épars sur la grande tombe, à la vieille figure. O toi dont je ne veux pas écrire le nom sur cette page qui consacre la sainteté du crime, je sais que ton pardon fut immense comme l’univers. Mais, moi, j’existe encore !
     
    "Les Chants de Maldoror" et autres textes -  Comte de Lautréamont
     
     

     

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    Le dix-sept juillet mil huit cent quatre-vingt-trois, à deux heures et demie du matin, le gardien du cimetière de Béziers, qui habitait un petit pavillon au bout du champ des morts, fut réveillé par les jappements de son chien enfermé dans la cuisine.

                Il descendit aussitôt et vit que l'animal flairait sous la porte en aboyant avec fureur, comme si quelque vagabond eût rôdé autour de la maison. Le gardien Vincent prit alors son fusil et sortit avec précaution. <!-- athena e-text -->

                Son chien partit en courant dans la direction de l’allée du général Bonnet et s’arrêta net auprès du monument de Mme Tomoiseau.

                Le gardien, avançant alors avec précaution, aperçut bientôt une petite lumière du côté de l’allée Malenvers. Il se glissa entre les tombes et fut témoin d'un acte horrible de profanation.

                Un homme avait déterré le cadavre d'une jeune femme ensevelie la veille, et il le tirait hors de la tombe.

                Une petite lanterne sourde, posée sur un tas de terre, éclairait cette scène hideuse.

                Le gardien Vincent, s'étant élancé sur ce misérable, le terrassa, lui lia les mains et le conduisit au poste de police.

                C'était un jeune avocat de la ville, riche, bien vu, du nom de Courbataille.

                Il fut jugé. Le ministère public rappela les actes monstrueux du sergent Bertrand et souleva l'auditoire.

                Des frissons d'indignation passaient dans la foule. Quand le magistrat s’assit, des cris éclatèrent: “A mort! A mort!” Le président eut grand’peine à faire rétablir le silence.

                Puis il prononça d'un ton grave:

                “Prévenu qu'avez-vous à dire pour votre défense?”

                Courbataille, qui n'avait point voulu d'avocat, se leva. C'était un beau garçon, grand, brun, avec un visage ouvert, des traits énergiques, un œil hardi.

                Des sifflets jaillirent du public.

                Il ne se troubla pas, et se mit à parler d'une voix un peu voilée, un peu basse d'abord, mais qui s'affermit peu à peu.

                “Monsieur le président,

                “Messieurs les jurés,

                “J'ai très peu de choses à dire. La femme dont j'ai violé la tombe avait été ma maîtresse. Je l’aimais.

                “Je l'aimais, non point d'un amour sensuel, non point d'une simple tendresse d'âme et de cœur, mais d'un amour absolu, complet, d'une passion éperdue.

    “Ecoutez-moi:

                “Quand je l'ai rencontrée pour la première fois, j'ai ressenti, en la voyant, une étrange sensation. Ce ne fut point de l'étonnement, ni de l'admiration, ce ne fut point ce qu'on appelle le coup de foudre, mais un sentiment de bien-être délicieux, comme si on m'eût plongé dans un bain tiède. Ses gestes me séduisaient, sa voix me ravissait, toute sa personne me faisait un plaisir infini à regarder. Il me semblait aussi que je la connaissais depuis longtemps, que je l’avais vue déjà. Elle portait en elle quelque chose de mon esprit.

                “Elle m'apparaissait comme une réponse à un appel jeté par mon âme, à cet appel vague et continu que nous poussons vers l'Espérance durant tout le cours de notre vie.

                “Quand je la connus un peu plus, la seule pensée de la revoir m'agitait d'un trouble exquis et profond; le contact de sa main dans ma main était pour moi un tel délice que je n'en avais point imaginé de semblable auparavant, son sourire me versait dans les yeux une allégresse folle, me donnait envie de courir, de danser, de me rouler par terre.

                “Elle devint donc ma maîtresse.

                “Elle fut plus que cela, elle fut ma vie même. Je n'attendais plus rien sur la terre, je ne désirais rien, plus rien. Je n'enviais plus rien.

               “Or, un soir, comme nous étions allés nous promener un peu plus loin le long de la rivière, la pluie nous surprit. Elle eut froid.

                “Le lendemain une fluxion de poitrine se déclara. Huit jours plus tard elle expirait.

                “Pendant les heures d'agonie, l’étonnement, l’effarement m'empêchèrent de bien comprendre, de bien réfléchir.

                “Quand elle fut morte, le désespoir brutal m'étourdit tellement que je n'avais plus de pensée. Je pleurais.

                “Pendant toutes les horribles phases de l’ensevelissement ma douleur aiguë, furieuse, était encore une douleur de fou, une sorte de douleur sensuelle, physique.

                “Puis quand elle fut partie, quand elle fut en terre, mon esprit redevint net tout d'un coup et je passai par toute une suite de souffrances morales si épouvantables que l'amour même qu'elle m'avait donné était cher à ce prix-là.

                “Alors entra en moi cette idée fixe:

                “Je ne la reverrai plus.”

                Quand on réfléchit à cela pendant un jour tout entier, une démence vous emporte! Songez! Un être est là, que vous adorez, un être unique car dans toute l’étendue de la terre il n'en existe pas un second qui lui ressemble. Cet être s'est donné à vous, il crée avec vous cette union mystérieuse qu'on nomme l’Amour. Son œil vous semble plus vaste que l'espace, plus charmant que le monde, son œil clair où sourit la tendresse. Cet être vous aime. Quand il vous parle, sa voix vous verse un flot de bonheur.

                “Et tout d'un coup il disparaît! Songez! Il disparaît non pas seulement pour vous, mais pour toujours. Il est mort. Comprenez-vous ce mot? jamais, jamais, jamais, nulle part, cet être n'existera plus. Jamais cet œil ne regardera plus rien; jamais cette voix, jamais une voix pareille, parmi toutes les voix humaines, ne prononcera de la même façon un des mots que prononçait la sienne.

                “Jamais aucun visage ne renaîtra semblable au sien. Jamais, jamais! On garde les moules des statues; on conserve des empreintes qui refont des objets avec les mêmes contours et les mêmes couleurs. Mais ce corps et ce visage, jamais ils ne reparaîtront sur la terre. Et pourtant il en naîtra des milliers de créatures, des millions, des milliards, et bien plus encore, et parmi toutes les femmes futures, jamais celle-là ne se retrouvera. Est-ce possible? On devient fou en y songeant!

                “Elle a existé vingt ans, pas plus, et elle a disparu pour toujours, pour toujours, pour toujours! Elle pensait, elle souriait, elle m'aimait. Plus rien. Les mouches qui meurent à l'automne sont autant que nous dans la création. Plus rien! Et je pensais que son corps, son corps frais, chaud, si doux, si blanc, si beau, s'en allait en pourriture dans le fond d'une boîte sous la terre. Et son âme, sa pensée, son amour, où?

                “Ne plus la revoir! Ne plus la revoir! L'idée me hantait de ce corps décomposé, que je pourrais peut-être reconnaître pourtant. Et je voulus la regarder encore une fois!

    “Je partis avec une bêche, une lanterne, un marteau. Je sautai par-dessus le mur du cimetière. Je retrouvai le trou de sa tombe; on ne l'avait pas encore tout à fait rebouché.

                “Je mis le cercueil à nu. Et je soulevai une planche. Une odeur abominable, le souffle infâme des putréfactions me monta dans la figure. Oh! son lit, parfumé d'iris!

                “J'ouvris la bière cependant, et je plongeai dedans ma lanterne allumée, et je la vis. Sa figure était bleue, bouffie, épouvantable! Un liquide noir avait coulé de sa bouche.

                “Elle! c'était elle! Une horreur me saisit. Mais j'allongeai le bras et je pris ses cheveux pour attirer à moi cette face monstrueuse!

                “C'est alors qu'on m'arrêta.

                “Toute la nuit j'ai gardé, comme on garde le parfum d'une femme après une étreinte d'amour, l'odeur immonde de cette pourriture, l'odeur de ma bien-aimée!

                “Faites de moi ce que vous voudrez.”

                Un étrange silence paraissait peser sur la salle. On semblait attendre quelque chose encore. Les jurés se retirèrent pour délibérer.

                Quand ils rentrèrent au bout de quelques minutes, l'accusé semblait sans craintes, et même sans pensée.

                Le président, avec les formules d'usage, lui annonça que les juges le déclaraient innocent.

                Il ne fit pas un geste, et le public applaudit.

                29 juillet 1883

    Guy de Maupassant

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    Pourquoi cette expression
    "La peau des couilles" ?
    Voilà l'histoire réelle d'une expression connue de tous, mais très souvent mal orthographiée.
    Par un beau jour d'automne 1820, le duc de Mirnouf, passionné par la chasse, mais frustré par le maigre gibier qu'il ramenait de ses pérégrinations forestières, imagina qu'il devait être possible de fabriquer un outil apte à lui faciliter la tâche et rendre plus plaisante sa traque des animaux. Il convoqua tous les artisans de la contrée pour mettre au concours la concrétisation de cette idée et leur laissa deux mois pour fabriquer le plus inventif et le plus efficace des appareils.

    A peine une semaine plus tard, un marchand du nom de Marcel Écouille, se présenta au château clamant à qui voulait l'entendre qu'il possédait ce dont le duc rêvait. Il obtint sans peine une audience auprès du noble seigneur et s'empressa de lui faire la démonstration de sa merveille.
    Devant une assemblée dubitative mais curieuse, il sortit de sa poche un minuscule sifflet (un appeau) et le porta à la bouche pour produire un son strident qui aussitôt imposa le silence parmi les personnes présentes.
    A peine quelques secondes plus tard, des dizaines d'oiseaux de toutes sorte s'étaient approchés et virevoltaient autour de lui, comme attirés et charmés par cette étrange mélodie.
    Le duc imagina sans peine le profit qu'il pouvait tirer d'un tel accessoire lors de ses futures chasses; il s'éclaircit la gorge et ne prononça qu'une seule phrase :

    - Combien cela va-t-il me coûter ?
    Marcel Écouille, sûr de lui, répondit qu'il accepterait de se séparer de son objet en échange du quart de la fortune de son interlocuteur.
    Cette requête fit sourire l'assemblée, mais le duc garda tout son sérieux et accepta la transaction. La nouvelle fit grand bruit et se répandit vite bien au-delà des limites du duché.
    Un marchand avait vendu un sifflet pour une somme astronomique au Duc qui en paya le coût sans broncher.

    Ainsi, cette anecdote a subsisté dans la langue française pour qualifier les objets hors de prix :

    " Ça coute l'appeau d'Écouille "
    ( L'appeau est un instrument utilisé à la chasse pour produire un son particulier attirant les oiseaux ou le gibier).

    ET NON PAS LA PEAU DES COUILLES.

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