• CRISE DE LA NOBLESSE

     

    7. CRÉPUSCULE DE LA NOBLESSE

    Au fil des temps modernes, la noblesse de sang a été empoisonnée par l’atmosphère de cour, et la noblesse d’esprit par le capitalisme.
        Depuis la fin de l’époque de la chevalerie, la haute noblesse de l’Europe continentale se trouve, à quelques rares exceptions près, dans un état de décadence progressive. À travers son urbanisation, elle a perdu ses avantages physiques et spirituels.
        Aux temps du féodalisme, la noblesse de sang était appelée à protéger son territoire contre les attaques des ennemis et contre les attaques  du souverain. L’homme noble était libre et
    confiant vis-à-vis de ses subordonnés, de ses égaux et de ses supérieurs ; roi sur ses terres, il pouvait librement épanouir sa personnalité selon les principes de la chevalerie.   
        L’absolutisme a changé cette situation : la noblesse d’opposition, qui s’appuyait librement, fièrement et bravement sur son droit historique, a été autant que possible éradiquée : le reste à été envoyé à la cour, et là, réduit à une étincelante servitude. Cette noblesse de cour était non libre, dépendante des humeurs du souverain et de sa camarilla ; elle a donc dû perdre ses meilleures qualités : le caractère, le besoin de liberté, la fierté, le leadership. Pour briser le caractère, et donc la force de résistance, de la noblesse française, Louis XIV l’a attirée à Versailles ; l’accomplissement de son oeuvre a été réservé à la grande Révolution : à la noblesse qui avait déjà bradé et perdu ses avantages, elle a retiré ses derniers privilèges.
        Ce n’est que dans ces pays d’Europe où la noblesse est restée fidèle à sa mission chevaleresque, où elle est restée le leader et l’avant-gardiste de l’opposition nationale contre le despotisme monarchique et la domination étrangère, qu’un type de leader noble s’est maintenu : en Angleterre, en Hongrie, en Pologne, en Italie.
        Depuis la transformation de la culture européenne, de rustico-chevaleresque à urbano-bourgeoise, la noblesse de sang est restée, d’un point de vue culturello-spirituel, en retrait derrière la bourgeoise. La
    guerre, la politique et la gestion de ses biens l’ont tellement accaparée que ses capacités et ses intérêts spirituels ont largement décliné.
        Ces causes historiques du crépuscule de la noblesse pendant les temps modernes ont encore été renforcées par des causes physiologiques. À la place du service de guerre dur et médiéval, les temps modernes ont généralement apporté à la noblesse une bonne vie  et sans travail ; de la position la plus menacée, la noblesse est progressivement devenue, grâce à sa richesse d’héritage, la position la plus sécurisée ; ce à quoi s’est encore ajoutée l’influence dégénérative d’une consanguinité exagérée, à laquelle le noble anglais a échappé grâce à des mélanges fréquents avec du sang bourgeois. À travers l’effet combiné de ces circonstances, le type physique, psychique et spirituel du noble d’autrefois a
    décliné.
        La noblesse cérébrale n’a pas pu prendre le relais de la noblesse de sang car elle aussi se trouvait dans une crise, dans un état de déclin.  La démocratie est née de cette situation embarrassée : non parce que les gens ne voulaient pas de noblesse, mais parce qu’ils ne trouvaient pas de noblesse. Dès qu’une nouvelle et véritable noblesse se sera constituée, la démocratie disparaîtra d’elle-même. C’est parce l’Angleterre possède  une véritable noblesse qu’elle est restée, en dépit de sa constitution
    démocratique, aristocratique.
        La noblesse cérébrale académique  allemande, qui était il y a un siècle la leader de l’opposition contre l’absolutisme et le féodalisme, l’avant-gardiste des idées modernes et libérales, a aujourd’hui sombré au rang de pilier principal du réactionnisme, d’adversaire principal de l’innovation spirituelle et politique. Cette pseudo-noblesse d’esprit allemande a été l’avocate du militarisme pendant la guerre, le défenseur du capitalisme pendant la révolution. Ses leitmotivs  : nationalisme, militarisme, antisémitisme, alcoolisme, sont en même temps les mots d’ordre du combat contre l’esprit. Sa mission riche en responsabilités : prendre le relais de la noblesse féodale et préparer la noblesse d’esprit, l’intelligentsia académique l’a ignorée, reniée et trahie.
    L’intelligentsia journalistique  a aussi trahi sa mission de leader. Elle qui était appelée à devenir la leader et la professeure spirituelle des masses, appelée à compléter et à améliorer ce qu’un système scolaire
    rétrograde a raté et brisé — elle s’est rabaissée dans sa monstrueuse majorité en esclave du capital, en illustration biaisée des goûts politiques et artistiques. Son caractère s’est brisé sous le poids de la
    contrainte d’avoir à soutenir et défendre, en lieu et place de ses propres convictions, celles d’autrui — son esprit s’est affadi via la surproduction à laquelle sa profession l’a contraint.
        À l’instar du rhéteur de l’antiquité, le journaliste  des temps modernes se tient au centre de la machine d’État : il met en mouvement les électeurs, les électeurs les députés, les députés les ministres. Au journaliste échoit donc la plus haute responsabilité pour tous les événements politiques : et lui justement, en tant que représentant typique de l’absence de caractère urbaine, il se sent généralement libre de toutes ses obligations et responsabilités.
        L’école et la presse sont les deux points à partir desquels le monde pourrait être , sans sang ni violence, renouvelé et ennobli.
    L’école nourrit ou empoisonne l’âme de l’enfant; la presse nourrit ou empoisonne l’âme de l’adulte.
     L’école et la presse sont aujourd’hui toutes deux aux mains d’une intelligentsia dénuée d’esprit : la remettre aux mains de l’esprit serait la plus haute tâche de toute politique idéale, de toute révolution idéale.
        Les dynasties européennes de dominants ont décliné à travers la consanguinité ; les dynasties ploutocrates à travers la bonne vie. La noblesse de sang s’est délabrée parce qu’elle est devenue la servante de la monarchie ; la noblesse d’esprit s’est délabrée parce qu’elle est devenue la servante du capital.
        Ces deux aristocraties avaient oublié qu’avec chaque avantage, qu’avec chaque distinction et chaque situation exceptionnelle, une responsabilité  est associée. Elles ont désappris la devise de tous les vrais nobles : «Noblesse oblige ! »
     Elles ont voulu savourer les fruits de leur position avantageuse, sans en supporter les devoirs ; se sont senties maîtresses  et supérieures, et non leaders et modèles pour leurs congénères. Au lieu de montrer au peuple les nouveaux buts, au lieu de     frayer pour le peuple de nouveaux chemins, elles se sont laissé manipuler par les dominants et les capitalistes, comme des outils au service de leurs intérêts : pour une bonne vie, des positions honorifiques et de l’argent, elles ont vendu leur âme, leur sang et leur cerveau.
        Les anciennes noblesses de sang et cérébrale ont perdu le droit d’être encore considérées en tant qu’aristocraties ; car il leur manque les signes de toute véritable noblesse : le caractère, la liberté, la responsabilité. Les liens qui les unissaient à leur peuple, elles les ont rompus : à travers l'arrogance
    catégorielle d’un côté, et l’arrogance culturelle  de l’autre.
        Cela va dans le sens de la Némésis historique que le grand déluge, prenant sa source en Russie, nettoie par des chemins sanglants ou non le monde des usurpateurs qui veulent revendiquer leur position avantageuse, alors qu’ils en ont depuis longtemps perdu les présupposés d’autrefois.

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