• Je l'avais rencontrée ...

     

    Je l'avais rencontrée un mois plus tôt. Le ravissement, la pitié et la tendresse qu'elle m'inspirait m'avaient tirée d'un état de sécheresse et d'insensibilité, l'un des plus pénible que je connaisse.
    Au  cours de cette dernière année, je me suis mise à douter de la beauté et du tragique de l'existence, de la tendresse, du charme et de la chaleur d'une vie paisible.Puis, dernièrement, en allant chercher du lait à la ferme un soir, sous la pluie, par la rue du village pleine de flaques, j'ai rencontré Ramona.Elle n'avait sur elle qu'une petite robe ou plutôt des guenilles, car on voyait par endroits son corps nu. Elle portait de gros souliers troués, apparemment ceux de sa mère, qui lui glissaient des pieds. Ses cheveux noirs et lisses étaient coiffés en deux minces tresses qu'on avait entortillées autour de sa tête et nouées au-dessus de son front à l'aide d'un bout de laine rouge. Elle cheminait vers la même ferme que moi, trébuchant dons l'obscurité, un pot de fer-blanc vide dons ses mains.
    Quand nous sommas arrivées toutes deux dans la cuisine où se trouvait un seau rempli de lait fraîchement trait, que la grosse fermière versait à l'ide d'une mesure en étain, je pus l'examiner à loisir. Elle sortait  tout droit d'une page d'Andersen ou d'un tablas de Goya. Elle me regarda longuement de ses grands yeux sombres, pleins d'une douce et came curiosité. Ses doigts étaient fins et basanés. Brusquement, elle l'adressa un sourire muet et confiant, sans savoir qui j'étais, ses yeux doux fixant les miens. Je sentis quelque chose se réveiller en moi et fus transportée par la joie et la pitié. "Viens chez moi, lui dis-je, je te donnerai un vrai ruban pour tes tresses". A vrai dire, j'avais l'intention de lui donner quelque lainage chaud. Mais elle ne comprenait pas le français!
    Avec son sourire et son pot en fer-blanc, son ignore de la langue des gens qui l'entouraient et cet éclair de sauvagerie qui passa dans son regard apeuré, elle m'était apparue pour me tirer de ma torpeur, pour me régénérer et pour effacer de mon coeur le sang et la moisissure.

    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova

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