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L'hypocrite
Et l’hypocrite ? Il est des gens qui disent ne rien attendre du monde ; ils ressemblent à ces pelotaris qui font rebondir la pelote sur le sol pour, ensuite, l’avoir mieux à la main, et pour que, leur venant à la volée, ils allongent la chasse ou gagnent quinze. Malheureux hommes ! La même bouche qui leur sert pour de longues oraisons, avale le bien des pauvres, des veuves et des orphelins : de quoi Dieu leur demandera longuement des comptes. L’hypocrite, en général, est semblable à une escopette chargée dont on ne sait ce qu’elle contient ; mais approchez d’elle une parcelle de feu, une seule étincelle, et la voilà qui projette une balle qui abat un géant : de même, au moindre motif, il découvre le vrai fond de son âme. Gardez-vous toujours de ces hommes semblables à certains poiriers secs, maigres, grands, mal bâtis, qui laissent retomber la tête pour se donner un air de sainteté. Ils vont, ramassés, couverts d’un manteau râpé dont ils s’enveloppent comme d’un linceul. Ce sont de maîtres sots, dont l’artifice tend à nous faire croire qu’ils sont savants ; ils volent quatre pensées, qu’ils nous présentent comme des plats de leur cru ; ils arborent la justice d’un Trajan, la sainteté d’un saint Paul, la prudence d’un Salomon, la simplicité d’un saint François ; et de tels dehors cachent d’ordinaire un méchant vivant. Leur face est blême, émaciée, et leurs actions fardées ; le vêtement étroit, large la conscience ; sur les lèvres, un « en vérité », et le cœur plein de mensonges ; charitables en public, avares insatiables en secret. Ils proclament leur abstinence d’aliments et autres biens temporels, et portent une soif si intense qu’ils boiront la mer sans en être rassasiés. Tout, disent-ils, est trop pour eux, et ce « tout » ne les satisfait point ; ils sont de l’espèce des dattes : la douceur en dehors, le miel dans les mots, la dureté dans l’âme. Il faut avoir très grande pitié d’eux, qui souffrent tant et jouissent si peu, et qui, pour tout dire, se damnent pour l’unique et fragile vanité d’être estimés ici-bas.
Aleman Matéo (1547 - vers 1614) romancier espagnol
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Tags : d’un, qu’ils, grands, saint, bien
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Commentaires
très bien dit et j'aime le rapport avec la datte, même si c'est lui faire injure car elle est bonne, elle, bises
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"...large la conscience ; sur les lèvres, un « en vérité », et le cœur plein de mensonges ; charitables en public, avares insatiables en secret." ... on ne peut mieux dire. Un hypocrite dans toute sa "splendeur". La pitié et le dégoût, c'est tout ce que ce genre d'individu mérite.
Je ne connaissais pas ce romancier espagnol, une bonne découverte.
Bises Faby