• L'inconstance

    Inconstance, affreux sentiment,
     Je t'implorais, je te déteste.
    Si d'un nouvel amour tu me fais un tourment,
    N'est-ce pas ajouter au tourment qui me reste ?
     Pour me venger d'un cruel abandon,
    Offre un autre secours à ma fierté confuse ;
    Tu flattes mon orgueil, tu séduis ma raison ;
    Mais mon cœur est plus tendre, il échappe à ta ruse.
    Oui, prête à m'engager en de nouveaux liens,
    Je tremble d'être heureuse, et je verse des larmes ;
    Oui, je sens que mes pleurs avaient pour moi des charmes,
     Et que mes maux étaient mes biens.

    Si tu veux m'égarer dans l'amour que j'inspire,
    Si tu ne veux changer ton ivresse en remords,
    Arrache donc mon âme à ses premiers transports,
    À ce tourment aimé que rien ne peut décrire.
    Me sera-t-il payé, même par le bonheur ?
    Pour le goûter jamais mon âme est trop sensible ;
    Je la donne au plaisir; une pente invincible
     La ramène vers la douleur.
     Comme un rêve mélancolique,
     Le souvenir de mes amours
     Trouble mes nuits, voile mes jours.
     II est éteint ce feu, ce charme unique,
    Éteint par toi, cruelle. En vain à mes genoux
    Tu promets d'enchaîner un amant plus aimable,
    Ce cœur blessé, dont l'amour est jaloux,
    Donne encore un regret, un soupir au coupable.

     Qu'il m'était cher ! que je l'aimais !
    Que par un doux empire il m'avait asservie !
    Ah ! Je devais l'aimer toute ma vie,
     Ou ne le voir jamais !
     Que méchamment il m'a trompée !
    Se peut-il que son âme en fût préoccupée,
     Quand je donnais à son bonheur
     Tous les battements de mon cœur !
    Dieu ! comment se peut-il qu'une bouche si tendre
    Par un charme imposteur égare la vertu ?
    Si ce n'est dans l'amour, où pouvait-il le prendre,
    Quand il disait : « Je t'aime ; m'aimes-tu ? »
    Ô fatale inconstance ! ô tourment de mon âme !
    Qu'as-tu fait de la sienne, et qu'as-tu fait de moi ?
    Non, ce n'est pas l'Amour, ce n'est pas lui, c'est toi
    Qui de nos jours heureux as désuni la flamme.
    Je ne pouvais le croire : un triste étonnement
    Au cœur le plus sensible ôtait le sentiment.
    Mes pleurs se desséchaient à leur source brûlante,
    Mon sang ne coulait plus ; j'étais pâle, mourante ;
    Mes yeux désenchantés repoussaient l'avenir :
    Tout semblait m'échapper, tout, jusqu'au souvenir.

     Mais il revient, rien ne l'efface ;
    La douleur en fuyant laisse encore une trace.
    Si tu m'as vue un jour me troubler à ta voix,
    C'est que tu l'imitais, cet accent que j'adore.
     Oui, cet accent me trouble encore,
    Et mon cœur fut créé pour n'aimer qu'une fois.

     

    Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859
    Recueil : Élégies (1830) *
    « Wiener Cello Ensemble 5+1: Bolero L'horreur »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    3
    Mercredi 16 Décembre 2015 à 20:10

    Bonsoir,

    Un juge déclarait "donnez-moi un seul mot et je le ferai condamner ou libérer"

    L'importance des mots et des premières impressions qu'il dégage, tout est une question d’interprétation.

    Comme quoi le regard (encore lui..) des autres vous transforme et vous étiquette (surtout pas par moi ) suivant des schémas bien établis.

    l'erreur est-elle lupine ?..diable oui ! je vous tire ma révérence.

    2
    Mercredi 16 Décembre 2015 à 03:01

    Quelque chose m’échappe, CRUELLA m'intrigue, pourquoi parler regard brillant, intelligence, émotions et se  complaire dans la tristesse?

    Je reviendrais

      • Mercredi 16 Décembre 2015 à 19:21

        Quelle drôle d'idée loupzen... d'imaginer que je me complais dans la tristesse.
        J'ai une tendresse toute particulière pour Marceline, femme de génie, de talent, autodidacte, sensible et révoltée, esprit indomptable et attachant.
        Sa poésie et tendre, passionnée. Ses textes parlent de l'amour pour l'Autre mais expriment également l'amour envers les Autres. A travers ses écrits on découvre un être indépendant, une penseuse libre ... l'écriture est une arme contre les puissants, les sots et pour aider les faibles.

        Et puis comme disait Charles Baudelaire:

        « Mme Desbordes-Valmore fut femme, fut toujours femme et ne fut absolument que femme ; mais elle fut à un degré extraordinaire l’expression poétique de toutes les beautés naturelles de la femme »

        Reviens quand tu veux loupzen, sourire

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :