• LA QUETE DU BONHEUR (18) - Hannah Arendt

     

    En fait, les débuts plutôt modestes des deux révolutions suggèrent qu’à l’origine, les révolutionnaires ne visaient que des réformes tendant à la création de monarchies constitutionnelles, même si les expériences du peuple américain en matière de «bonheur public» durent être considérables, bien avant le conflit avec l’Angleterre. Ce qui importe, cependant, c’est que la Révolution française et la Révolution américaine furent très vite amenées à insister sur l’instauration de gouvernements républicains, et cette insistance, allant de pair avec le nouvel antagonisme violent entre monarchistes et républicains, provenait directement des révolutions elles-mêmes. En tout cas, les hommes des révolutions avaient fait connaissance avec le «bonheur public», et l’impact de cette expérience avait été suffisamment profond pour leur faire préférer, en toutes circonstances ou presque - si, par malheur, l’alternative leur avait été présentée en ces termes -, la liberté publique aux libertés civiles, ou le bonheur public au bien-être privé. Derrière les théories de Robespierre, qui préfigurent la Révolution que l’on décréta permanente, on peut discerner la question difficile, inquiète et inquiétante, qui devait troubler après lui tous les révolutionnaires dignes de ce nom ou presque : si la fin de la révolution et l’instauration d’un gouvernement constitutionnel signifiaient la fin de la liberté publique, était-il alors souhaitable de mettre fin à la révolution ?
    Si Robespierre avait vécu assez longtemps pour observer l’évolution du nouveau gouvernement des États-Unis, où la Révolution n’avait jamais sérieusement restreint les droits civils et, pour cette raison peut-être, avait réussi précisément là où la Révolution française échoua - dans sa tâche de fondation -, où - autre aspect plus important encore dans ce contexte -, les fondateurs étaient devenus gouvernants, de sorte que la fin de la révolution ne signifiait nullement la fin de leur « bonheur public », ses doutes auraient encore pu se voir confirmés. Car l’accent se déplaça presque aussitôt du contenu de la Constitution - la création et la séparation des pouvoirs et l’apparition d’un nouveau domaine où, comme le déclarait Madison, «l’ambition serait freinée par l’ambition(1)», l’ambition, naturellement, de se distinguer et d’exercer une influence significative, et non pas de faire carrière -, à la Déclaration des droits, énonçant les entraves constitutionnelles qu’il fallait imposer au gouvernement; en d’autres termes, il se déplaça de la liberté publique à la liberté civile, ou d’une participation aux affaires en vue du bonheur public à la garantie que la quête du bonheur privé serait protégée et encouragée par les pouvoirs publics. La nouvelle formule employée par Jefferson - de prime abord si étrangement équivoque et qui rappelait à la fois les assurances des proclamations royales et l’accent que celles-ci mettaient sur le bien-être privé du peuple (signifiant par là son exclusion des affaires publiques), et l’emploi prérévolutionnaire courant de l’expression « bonheur public» - fut presque immédiatement privée de son double sens et comprise comme le droit des citoyens à rechercher leurs intérêts propres et donc à agir selon les règles égoïstes de l’intérêt personnel. Et ces règles, qu’elles soient dictées par les noirs désirs du coeur ou par les nécessités obscures du foyer, n’ont jamais été particulièrement «éclairées».

     A suivre

     

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    1. Ces propos semblent faire écho à la conscience qu’avait John Adams du rôle que doit jouer dans un corps politique «la passion de se distinguer», ce n’est pourtant rien de plus qu’une indication de l’unanimité qui régnait entre les Pères fondateurs dans bien des domaines.

     

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