• Obéir ... Qu'y a-t-il de spirituel à céder? Pourquoi la foi exigerait-elle une soumission totale?
    N'est-il pas plus beau, parfois, d'enfreindre? Si Dieu pousse au crime, l'homme doit le repousser. Quand Dieu ne se comporte pas à la hauteur de Dieu, signalons-le-lui et tournons-lui le dos. Voilà ce que j'aspire à penser ... Mes mes convictions ont subi une déroute. Cette nuit, un nouveau personnage est entré dans ma vie : Dieu. Je ne l'appelais pas, je ne révérais pas. Il appartenait à ce conglomérat de termes qui ne correspondent à aucune réalité - fée, néant, trou noir, enfer, paradis, purgatoire -, le groupe des mots inoffensifs. Quelle erreur! A cause de Poitrenot, il vient de surgir sur ma scène, glaive en man, l'insulte à la bouche, le regard furibond
    Tous a changé, hélas. Il m'effraie. Il me sidère. Il m'écrase de son acharnement, non de sa sagesse. Sous lui, j'étouffe.
    Avec horreur, je me rends compte qu'il prospérait, là, depuis toujours. Oh, il ne se terrait pas dans 'ombre, s'exposait en pleine lumière, dans les villes sous forme d'églises, de temples, de synagogues ou de moquées, dans les noms, dans les actes, dans les phrases, dans les opinions, dans les doctrines. Il gouvernait tout, indifférent à mon aveuglement ou à ma surdité, sûr de lui.
    Cette révélation m'accable; elle m'a expulsé de mon univers et j'en frissonne. Je regrette le Dieu de mon athéisme. Le Dieu auquel je ne croyais pas, bon, généreux, affectueux, incarnait le meilleur de l'homme. Le Dieu auquel les convulsions de la réalité me contraignent à prêter attention est injuste, partial, agressif. Qu'ai-je gagné à le rencontrer? Rien. Sauf si la malaise, la prostration, l'effarement, l'oppression, l’angoisse constituent des progrès.
    Je n'espérais pas ce Dieu-là.
    Dans un monde idéal, Dieu se montrait aimable; dans le nôtre, il s'avère odieux. Dans un monde idéal, je l'aurais respecté; dans le nôtre, je le crains.

     

    "L'homme qui voyait à travers les visages" Eric-Emmanuel Schmitt

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  • Il convient au contraire d'admettre qu'au creux de l'être, là où est le berceau ou le gouffre, l'âme assume toutes les conditions tragiques du destin humain.Instruite par l'expérience de la souffrance et de la mort, elle est capable d'ouverture et de dépassement; en élevant l'être qu'elle habite jusqu'au règne du divin. Mais elle peut aussi connaître déviations ou perversions, céder aux diverses pulsions destructrices. Consciente ou inconsciente, libre ou contrainte, elle est en pouvoir de nouer des liens complexes avec le Mal.  

    François Cheng *

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  • La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pale, bleu-violet, sur les paupières d’un nouveau-né, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.

    "La Folle allure"  Christian Bobin *

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  • Cet homme n'avait pas cessé de croire en Dieu. Il n'en était pas arrivé non plus à une conception moderne de Dieu. Il y avait Dieu et il y avait le monde. Il savait que le monde l'oublierait mais que Dieu ne le pouvait pas.Et c'était bien cela pourtant qu'il souhaitait.

    Il est facile de comprendre que seul le chagrin pourrait amener un homme à une telle vision des choses. Et pourtant un chagrin pour lequel il ne peut y avoir de  secours n'est pas un chagrin. C'est une soeur éplorée qui voyage dans des  vêtements de deuil. Les hommes ne se détournent pas si facilement de Dieu, vois-tu. Pas si facilement.Tout homme sait au fond de lui que quelque chose est averti de son existence. Quelque chose en est averti, dont on ne peut ni fuir ni se cacher. Imaginer qu'il peut en être autrement c'est imaginer l'innommable. Le problème n'a jamais été que cet homme a cessé de croire en Dieu. Non. C'est plutôt qu'il en était venu à croire des choses terrible au sujet de Dieu.

    Donc il est maintenant à la retraire à Mexico. Il n'a pas d'amis. Dans la journée il va s'assoir dans le parc. Le sol sous ses pieds est engraissé du sang des ancêtres. Il observe les passants. Il est maintenant convaincu que les buts et les significations dons ils s'imaginent que sont investis leurs mouvements ne sont en réalité qu'un moyen de les décrire. Il est persuadé que leurs gestes sont subordonnés à des mouvements plus vastes dans des configurations qui leur sont inconnues et ceux-là à leur tour à d'autres. Ces réflexions ne lui apportent aucun réconfort, je peux te le dire. Il voit que l'univers se dérobe. Tout autour de lui un énorme vide sans écho. C'est à ce moment-là qu'il a commencé à prier. Sans doute pas avec un motif très pur. Mais finalement à quoi ce motif pourrait-il ressembler? Est-ce que Dieu peut être séduit? Peut-on plaider auprès de Lui ou Lui demander de voir le bien-fondé de nos arguments? Une créature issue de Sa main pourrait-elle rien faire d'autre pour Lui plaire davantage eût-elle agi autrement? Peut-on Le surprendre? Dans son coeur cet homme avait déjà commencé à conspirer contre Dieu mais il ne le savait pas encore. Il n'en a rien su jusqu'au moment où il a commencé à rêver de Lui.

    Qui peut rêver de Dieu? Cet homme en a rêvé. Dans ses rêves Dieu était très occupé. Quand on Lui parlait Il ne répondait pas. Quand on L'appelait Il n'entendait pas. L'homme Le voyait penché sur son ouvrage. Comme à travers une vitre. Assis dans l'unique lumière de Sa présence. En train de tisser le monde. Entre Ses mains le monde sortait du néant et entre Ses mains le monde  retournait au néant. Interminablement. Interminablement. Voilà. Il y avait maintenant un Dieu à méditer. Un Dieu qui semblait asservi aux tâches mêmes qu'il S'était assignées. Un Dieu qui semblait doté du pouvoir insondable du soumettre toute chose à une impénétrable finalité. Le chaos lui-même ne sortait pas du cadre de cette matrice. Et quelque part dans cette tapisserie qu'était le monde en train de se faire et de se défaire il y avait un fil et ce fil c'était lui et il s'est réveillé en pleurant.

    "Le grand passage" Cormac McCarthy

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  • La poésie a joué, magnifiquement, son rôle. Elle a créé des manières de voir l'univers en sa pleine fraîcheur – et l'existence en sa pleine beauté. La faille dans notre vie moderne est due à notre incompréhension de cette évidence. Comment transformer la vie en poésie ? Voilà la question. Et ce n'est pas, ce n'est plus au poète d'assumer ce rôle, sauf dans le sens qu'il continue, par la force de la création, ce que les grands créateurs du passé ont fondé, à savoir : continuer à créer des rapports nouveaux entre langue et existence — ceux qui donneraient à notre vie une image plus belle et plus humaine. C'est maintenant la société qui doit assumer la responsabilité de créer les moyens qui permettront de diffuser ces rapports, de les transformer en pain quotidien, de déployer et d'étendre la vision poétique aux autres visions qui dirigent le monde actuel, dans les domaines : politique, économique, scientifique et intellectuel. Il faut oeuvrer pour que la vie humaine, au-delà des races, langues et pays, puisse être vécue comme si elle était poésie.

    Vers un sens à venir - Ali Ahmad Saïd Esber dit Adonis

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