• Le livre de rêve disparu

     

    Si j'avais pu l'écrire pendant un rêve pourquoi ne pouvais-je pas le récrire pendant un rêve éveillé? Est-ce que l'un de ces états est tellement différent de l'autre? Puisque je me suis aventuré jusque-là, pourquoi ne pas compléter ma pensée et ajouter que mon unique but en écrivant a été d'éclaircir un mystère. (Je n'ai jamais dit ouvertement ce qu'était ce mystère.) Oui, depuis le jour où j'ai commencer à écrire sérieusement on seul désir a été de me décharger de ce livre que je portais en moi, bien enfoui sous ma ceinture, sous toutes mes latitudes et toutes les longitudes, dans toutes mes douleurs et toutes mes vicissitudes. Arracher ce livre du fond de moi, le rendre chaud, vivant, palpable ... voilà quels étaient mon grand but et ma préoccupation ... Ce magicien barbu qui apparaît au cours d'instants de la vie onirique, caché dans un petit coffre - un rêve de coffre, pourrait-on dire -, qui est-il sinon moi-même, mon moi le plus ancien? Il tient un trousseau de clefs dans les mains, n'est-ce pas?  Et il se trouve au centre clef de tout l'édifice mystérieux. Eh bien alors, qu'est-ce que ce livre manquant, sinon "l'histoire de mon cœur", comme le nomme si magnifiquement Jefferies. Un homme a-t-il une autre histoire à raconter que celle-là?  Et n'est-ce pas la plus difficile de toutes à raconter que celle-là? Et n'est-ce pas la plus difficile de toutes à raconter, celle qui est la plus cachée, la plus abstruse, la plus déroutante?

    Le fait que nous lisions même dans nos rêves est remarquable. Que lisions-nous, que pouvons-nous lire dans les ténèbres de l'inconscient, sinon nos pensées les plus profondes? A aucun instant, les pensées ne cessent d'agiter notre cerveau. Parfois, nous percevons une différence entre les pensées et la pensée, entre ce qui pense et l'esprit qui est toute pensée. Quelquefois nous entr'apercevons, comme par une petite fente, notre double personnalité. Le cerveau n'est pas l'esprit, nous pouvons en être sûrs. S'il était possible de localiser le siège de l'esprit, il serait plus juste de le situer dans le cœur. Mais le coeur est simplement un réceptacle, ou un transformateur, par le truchement duquel la pensée devient reconnaissable et efficace. La pensée doit passer par le cœur pour être rendue active et prendre un sens.

    Henry Miller "Les livres de ma vie"

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