• LE MAL (2)

     

    La pensée philosophique ne s’est pas suffisamment souciée du problème du mal : la pensée moderne moins encore que la pensée antique. Il existe néanmoins toute une série de tentatives pour rechercher l’origine du mal. Dans ces tentatives la pensée philosophique s’est du reste toujours unie à la pensée religieuse. Tout essai de connaissance du mal par la raison, même s’il s’agit d’une doctrine théologique basée sur la Révélation, fait disparaître du problème du mal tout son contenu problématique et mystérieux ; il aboutit toujours ou à justifier ou à nier le mal. Le mal est absolument irrationnel et sans fondement, il n’est déterminé ni par le sens, ni par la raison. On peut se demander quelle est la cause du mal, car c’est le mal qui a fait naître le monde de la nécessité, de l’enchaînement, où tout est soumis à la causalité. Or le mal originairement se lie à la liberté, non à la causalité. Si étrange que cela puisse paraître, telle est la ressemblance entre le mal et l’esprit. La liberté est indice du mal autant que de l’esprit, et c’est le mal pourtant qui détruit et l’esprit et la liberté. Il est vrai que le mal vient de l’esprit et non pas de la matière. En disant que la cause du mal est la liberté, nous signifions que le mal est sans cause. Liberté signifie ici absence de cause. Ce n’est qu’ensuite, par ses conséquences, que le mal tombe au pouvoir de la causalité. Le mal peut être cause, mais il est lui-même sans cause. La liberté est l’ultime mystère. La liberté est irrationnelle. Elle donne également naissance au mal et au bien, elle ne choisit pas, mais engendre. Il est impossible d’élaborer un concept rationnel de la liberté, elle succombe à toute définition rationnelle. C’est ce qu’on appelle un concept-limite (Grenzbegriff). Le mal est sans cause, sans raison d’être, il naît de la liberté.

    De même on ne saurait dire que Dieu est une cause, que l’action de Dieu sur le monde et sur l’homme est celle d’une cause engendrant des effets. Dieu est liberté et non cause. Ainsi s’éclaire la tragédie divine. La tragédie divine se transforme eu comédie divine, si on construit un système de pensée où tout descend du haut vers le bas, où tout vient de Dieu et est embrassé par Dieu.

    Nicolas BERDIAEV, Esprit et Réalité, 1937. *

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Juin 2015 à 07:54

    Oui, bien d'accord avec le fait que le mal c'est irrationnel et sans fondement, mais hélas il est bien présent et c'est si pratique pour ceux qui le font de se cacher derrière  un tas de paravents, bises à toi

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