• Métaphore

    Ainsi de nos métaphores amoureuses. Le moderne n'hésite pas à tenir ce raisonnement : "Amour désigne pour moi l'attrait sexuel - or sainte Thérèse parle sans cesse d'amour - donc cette mystique est une érotomane qui s'ignore." Mais nous avons vu que sainte Thérèse n'ignore rien ,et qu'au contraire les amants "passionnés" sont sans doute des mystiques qui s'ignorent... Ainsi les arguments s'annulent. Nous ne savons rien des origines premières. Ce que nous avons pu dégager, c'est uniquement le jeu des deux facteurs dans l'évolution historique. Résumons-le encore une fois, pour plus de clarté.

    Notre langage passionnel nous vient de la rhétorique des troubadours. Rhétorique ambiguë par excellence : une dogmatique manichéenne y compose des symboles d'attrait sexuel. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant de la religion qui l'a créée, passe dans les moeurs, et devient langage commun. Maintenant, quand un mystique veut exprimer ses expériences ineffables, il est contraint de se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu'elle sont, quitte à les modifier par la suite. Or à partir du XII siècle, les métaphores courantes sont celles de la rhétorique courtoise. Que les mystiques s'en emparent sans hésiter ne signifie donc pas du tout qu'ils "subliment" des passions sensuelles, mais simplement que l'expression habituelle de ces passions, créée d'ailleurs par une mystique, convient à l'expression de l'amour spirituel qu'ils vivent. Et elle convient même d'autant mieux à l'expression des rapports "malheureux" entretenus par l'âme et son Dieu, qu'elle s'est plus complètement humanisée, c'est-à-die détachée de l'hérésie. Car l'hérésie posait l'union possible de Dieu et de l'âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de tout amour humain; tandis que l'orthodoxie pose que l'union est impossible, ce qui entraîne le malheur divin et rend l'amour humain possible en ses limites. D'où il résulte que le langage de la passion humaine selon l'hérésie correspond au langage de la passion divine selon l'orthodoxie.

    On se trouve donc en présence d'une continuelle interaction. Et seule une décision tout arbitraire isolerait tel ou tel moment de cette dialectique permanente pour en faire la donnée première.

    D. de Rougemont "L'amour et l'occident"

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