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    Mes talons de caoutchouc dérapèrent sur le trottoir quand je tournai dans l’entrée étroite du Fulwider Building. Une lampe unique brûlait au loin, derrière un ascenseur ouvert, autrefois doré. Un crachoir terni, et qu’on devait manquer souvent, se dressait sur un tapis de caoutchouc mâchuré. […] Des numéros avec noms et des numéros sans noms. Des tas d’appartements libres, ou alors des tas de locataires qui voulaient rester anonymes. Des dentistes sans douleur, des agences de détectives à la manque, des petites affaires malades qui avaient rampé jusqu’ici pour y mourir, des écoles par correspondance qui devaient vous apprendre comment devenir employé de chemin de fer, technicien radio ou scénariste – si les inspecteurs des postes ne leur tombaient pas sur le râble. Un bâtiment moche. Un bâtiment dans lequel l’odeur des mégots de cigare devait être la plus propre de celles qu’on y respirait.

     

    "Le Grand Sommeil"  Raymond Chandler

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                 Buenos Aires, le 18 août 1960
                 Chère Alejandra,
                 J’ai pensé à vous écrire ces derniers temps, mais j’ai été contraint de le remettre à plus tard parce que j’étais préoccupé et indigné par la trahison d’un collègue de l’université qui dirigeait (il a démissionné il y a quelques jours) le département de psychologie. Il s’agissait tout simplement de m’éliminer. J’ai été tellement surpris par tout ça ! J’ai heureusement pu faire échouer sa manœuvre. Maintenant que ce problème est réglé je reviens vers vous.
                 Savez-vous que Silvina Bulrich a écrit un article dans La Nación sur Simone de Beauvoir ? Je l’ai trouvé assez médiocre et j’ai regretté qu’il soit publié avant le vôtre. Je ne sais pas s’ils voudront en publier un autre, au cas où vous me l’enverriez. Mais j’ai pleinement confiance dans la nouvelle que vous avez écrite.
                 Alejandra, je ne pense pas être le meilleur psychanalyste de Buenos Aires. Je pense qu’un autre analyste pourrait éventuellement vous sortir de vos peurs et de vos problèmes. Pour x raisons vous vous heurtez à des difficultés qui, en définitive, traduisent votre difficulté à vous accepter. Qu’importe si « demain je n’écris pas ou si je traîne le même livre pendant des mois ». Tout ceci n’est pas pour vous une perte de temps, c’est du « travail », de l’élaboration, de la création, même si cela n’en a pas l’air. Vous faites partie de ces êtres qui travaillent tout le temps, parce que l’intimité ne se repose jamais. Et si vos peurs et vos misères se transforment, par la suite, en jolis mots, alors réjouissez-vous, parce que les jolis mots surgissent lorsqu’une chose en nous, merveilleuse ou terrible, les pousse. Laissez tomber les examens : Vous travaillez et vous progressez lorsque vous lisez Góngora pour vous-même, et je dirais presque que vous perdez votre temps lorsque vous le lisez pour préparer un examen.
                 Je suis heureux de votre amitié avec Octavio Paz. Je sais à quel point vous l’admirez et prenez conscience que ce qui compte, en définitive, c’est de savoir qu’il y a quelques personnes qui vous aiment et qui savent ce dont vous êtes capable à en juger par ce que vous avez déjà fait.
                 Je vous embrasse fort ainsi qu’Aglae et Andrea,

    Léon Ostrov

     

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