• Une langue (2)

     

    Une langue que, sans entrer dans des comparaisons sentimentales et mystificatrices, on aime comme on aime les femmes, et peut-être bien davantage: textes et corps recherchés avec la même faim, le même désespoir, parfois, de même que nous nous obstinons après un type de femme qui serait nôtre, avec la même puissance de lucidité et d'illusion qui fait de nous, la cinquantaine venue, des jouisseurs ou des ascètes - des amateurs pervers ou rêveurs, qui se souviennent avec nostalgie, un effarante nostalgie, de la découverte de la littérature et de l'amour, et de ce qu’ils doivent à telle personne, initiatrice ou intercesseur. Comparaison certes aisée, mais qui, s'agissant de ce singulier amour de la langue, implique autant de devoirs (loin de l'imbécile idée selon laquelle les mots doivent faire l'amour et de la frénésie de calembours, jeux de mots et contrepèteries dont se nourrit le langage contemporain) qu'en demande l'amour d'une femme. Quoi qu'on attende d'une femme, cela suppose une morale (fût-ce le plus bas degré de la morale qu'est la codification tarifaire de l'amour avec une prostituée); il en v de même pour la langue: mal parler (à fortiori mal écrire), c'est faire injure non pas au corps social qui a érigé le respect d'une norme particulière au rang de valeur suprême et est aussi bien capable de la piétiner; c'est blesser l langue elle-même, ce grand corps dont ma mère me disait, à Vichy, je m'en souviendrai toujours, à propos du latin, que nous étions tous ses enfants, tandis que, secrètement, je songeais que j'eusse pu m'dresser à elle en patois, comme saint François d'Assise parlait le langage d'oc avec sa mère, provençale, et soutenant que nous avions en commun un bien plus précieux encore que le sang et les gènes: l’immémoriale filiation par les langues, quelque chose d'aussi proche de la musique que du silence et des outils avec lesquels on taille la pierre, on ouvre la terre, on entre dans la forêt des songes, on accède à la face de Dieu.

    "Ma vie parmi les ombres" Richard Millet

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