• Voyageurs égarés

     

    Nous sommes des voyageurs égarés à la croisé d'époques contradictoires; des survivants; des passagers d'une mémoire qui excède le seul individu, les morts continuant de rêver en nous autant que nous pensons à eux, de même que nous sommes vus par beaucoup plus d'êtres que nous n'en regardons. Une fois chassé de l'enfance, on est au monde par défaut - doutant même si on est réellement en vie, et si l'expression "être de son temps" n'est pas la vanité des vanités, maintenant que l'au-delà a été banni de nos catégories de pensée, et que l’enfer et le paradis ne sont que deux version également séduisantes, quoique pour des raisons opposées ou paradoxales, du présent, c'est-à-dire du néant. On n'est plus de son temps qu'on n'a l'âge de ses artères, pour employer une autre expression toute faite; au mieux avons-nous l'âge de ceux dont nus sommes les songes et les hantises, et qu'on appelle nos pères. Notre époque(dit-on en usant d'un possessif qui tend à donner l'illusion que le temps nous appartient) nous oblige à nous grimer comme tout un chacun (autre expression étrange et vieillotte, que j'emprunte à Marie, qui l'aimait beaucoup) et à nous croire des forteresses inexpugnables, alors que nous ne sommes que des individus, des enfants déchus, des corps peu tranquilles par le truchement desquels ne cessent de gémir, de parler, de se lamenter, d'en appeler aux vivants, la cohorte de ceux qui nous précédés, les pères de nos pères et ceux que nous avons croisés, aimés, rejetés, perdus, et nos seulement les morts mais ceux que nous engendrerons, aimerons, tuerons peut-être, et les fils et les filles de ceux-ci, et même les enfants que nous n'aurons pas et qui demeureront à jamais dans nos rêves aussi puissamment que les autres, songes et chair mêlés, vivant et morts flottant dans le même tremblement du temps, lequel n'est en fin de compte qu'une hypothèse parmi d'autres sur notre présence au monde; et celle à quoi nous recourions le plus volontiers, à Siom, était ce sentiment d'éternité que donne le fait d'être d'un lieu et pas d'un autre : la projection du temps sur une terre, si on préfère, une abscisse de sang rencontrant une ordonnée de songes.

    "Ma vie parmi les ombres" Richard Millet

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