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Par Cruella le 22 Novembre 2014 à 20:10
J’ai un ami, je pourrais en avoir deux ; son nom, je l’ignore, sa demeure, je ne la soupçonne pas. Perche-t-il sur un arbre ? se terre-t-il dans une carrière abandonnée ? Nous autres de la Bohème, nous ne sommes pas curieux, et je n’ai jamais pris le moindre renseignement sur lui. Je le rencontre de loin en loin, dans des endroits invraisemblables, par des temps impossibles. Suivant l’usage des romanciers à la mode, je devrais vous donner le signalement de cet ami inconnu ; je présume que son passe-port doit être rédigé ainsi « Visage ovale, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, yeux bruns, cheveux châtains ; signes distinctifs : aucun. » C’est cependant un homme très-singulier. Il m’aborde toujours en criant comme Archimède « J’ai trouvé ! » car mon ami est un inventeur. Tous les jours, il fait le plan d’une machine nouvelle. Avec une demi-douzaine de gaillards pareils, l’homme deviendrait inutile dans la création. Tout se fait tout seul : les mécaniques sont produites par d’autres mécaniques, les bras et les jambes passent à l’état de pures superfluités. Mon ami, vrai puits de Grenelle de science, ne néglige rien, pas même l’alchimie. Le Dragon vert, le Serviteur rouge et la Femme blanche sont à ses ordres ; il a dépassé Raymond Lulle, Paracelse, Agrippa, Cardan, Flamel et tous les hermétiques.
— Vous avez donc fait de l’or ? lui dis-je un jour d’un air de doute, en regardant son chapeau presque aussi vieux que le mien.
— Oui, me répondit-il avec un parfait dédain, j’ai eu cet enfantillage ; j’ai fabriqué des pièces de vingt francs qui m’en coûtaient quarante ; du reste, tout le monde fait de l’or, rien n’est plus commun : Esq., d’Abad., de Ru., en ont fait ; c’est ruineux. J’ai aussi composé du tissu cellulaire en faisant traverser des blancs d’œuf par un courant électrique ; c’est un bifteck médiocre et qui ressemble toujours un peu à de l’omelette. J’ai obtenu le poulet à tête humaine, et la mandragore qui chante, deux petits monstres assez désagréables ; comme maître Wagner, j’ai un homunculus dans un flacon de verre ; mais, décidément, les femmes sont de meilleures mères que les bouteilles. Ce qui m’occupe maintenant, c’est de sortir de l’atmosphère terrestre. Peut-être Newton s’est-il trompé, la loi de la gravitation n’est vraie que pour les corps : les corps se précipitent, mais les gaz remontent. Je voudrais me jeter du haut d’une tour et tomber dans la lune. Adieu !
Et mon ami disparut si subitement, que je dus croire qu’il était entré dans le mur comme Cardillac.
Un soir, je revenais d’un théâtre lointain situé vers le pôle arctique du boulevard ; il commençait à tomber une de ces pluies fines, pénétrantes, qui finissent par percer le feutre, le caoutchouc, et toutes les étoffes qui abusent du prétexte d’être imperméables pour sentir la poix et le goudron. Les voitures de place étaient partout, excepté, bien entendu, sur les places. À la douteuse clarté d’un réverbère qui faisait des tours d’acrobate sur la corde lâche, je reconnus mon ami, qui marchait à petits pas comme s’il eût fait le plus beau temps du monde.
— Que faites-vous maintenant ? lui dis-je en passant mon bras sous le sien.
— Je m’exerce à voler.
— Diable ! répondis-je avec un mouvement involontaire et en portant la main sur ma poche.
— Oh ! je ne travaille pas à la tire, soyez tranquille, je méprise les foulards ; je m’exerce à voler, mais non sur un mannequin chargé de grelots comme Gringoire dans la cour des Miracles. Je vole en l’air, j’ai loué un jardin du côté de la barrière d’Enfer, derrière le Luxembourg ; et, la nuit, je me promène à cinquante ou soixante pieds d’élévation ; quand je suis fatigué, je me mets à cheval sur un tuyau de cheminée. C’est commode.
— Et par quel procédé ?…
— Mon Dieu, rien n’est plus simple.
Et, là-dessus, mon ami m’expliqua son invention ; en effet, c’était fort simple, simple comme les deux verres qui, posés aux deux bouts d’un tube, font apercevoir des mondes inconnus, simple comme la boussole, l’imprimerie, la poudre à canon et la vapeur.
Je fus très-étonné de ne pas avoir fait moi-même cette découverte ; c’est le sentiment qu’on éprouve en face des révélations du génie.
— Gardez-moi le secret, me dit mon ami en me quittant. J’ai trouvé pour ma découverte un prospectus fort efficace. Les annonces des journaux sont trop chères, et, d’ailleurs, personne ne les lit ; j’irai de nuit m’asseoir sur le toit de la Madeleine, et, vers onze heures du matin, je commencerai une petite promenade d’agrément au-dessus de la zone des réverbères ; promenade que je prolongerai en suivant la ligne des boulevards jusqu’à la place de la Bastille, où j’irai embrasser le génie de la liberté sur sa colonne de bronze.
Cela dit, l’homme singulier me quitta. Je ne le revis plus pendant trois ou quatre mois.
Une nuit, je venais de me coucher, je ne dormais pas encore. J’entendis frapper distinctement trois coups contre mes carreaux. J’avouerai courageusement que j’éprouvai une frayeur horrible. Au moins si ce n’était qu’un voleur, m’écriai-je dans une angoisse d’épouvante, mais ce doit être le diable, l’inconnu, celui qui rôde la nuit, quærens quem devoret. On frappa encore, et je vis se dessiner à travers la vitre des traits qui ne m’étaient pas étrangers. Une voix prononça mon nom et me dit :
— Ouvrez donc, il fait un froid atroce.
Je me levai. J’ouvris la fenêtre, et mon ami sauta dans la chambre. Il était entouré d’une ceinture gonflée de gaz ; des ligatures et des ressorts couraient le long de ses bras et de ses jambes ; il se défit de son appareil et s’assit devant le feu, dont je ranimai les tisons. Je tirai de l’armoire deux verres et une bouteille de vieux bordeaux. Puis je remplis les verres, que mon ami avala tous deux par distraction, c’est-à-dire dont il avala le contenu. Sa figure était radieuse. Une espèce de lumière argentée brillait sur son front, ses cheveux jouaient l’auréole à s’y méprendre.
— Mon cher, me dit-il après une pause, j’ai réussi tout à fait ; l’aigle n’est qu’un dindon à côté de moi. Je monte, je descends, je tourne, je fais ce que je veux, c’est moi qui suis Raimond le roi des airs. Et cela, par un moyen si facile, si peu embarrassant ! mes ailes ne coûtent guère plus qu’un parapluie ou une paire de socques. Quelle étrange chose ! Un petit calcul grand comme la main, griffonné par moi sur le dos d’une carte, quelques ressorts arrangés par moi d’une certaine manière, et le monde va être changé. Le vieil univers a vécu : religion, morale, gouvernement tout sera renouvelé. D’abord, revêtu d’un costume étincelant, je descendrai de ce que jusqu’à présent l’on a appelé le ciel et je promulguerai un petit décalogue de ma façon. Je révélerai aux hommes le secret de voler. Je les délivrerai de l’antique pesanteur ; je les rendrai semblables à des anges, on serait dieu à moins. Beaucoup le sont qui n’en ont pas tant fait. Avec mon invention, plus de frontières, plus de douanes, plus d’octroi, plus de péages ; l’emploi d’invalide au pont des Arts deviendra une sinécure. Allez donc saisir un contrebandier passant des cigares à trente mille pieds du niveau de la mer ; car, au moyen d’un casque rempli d’air respirable que j’ai ajouté à mon appareil comme appendice, on peut s’élever à des hauteurs incommensurables. Les fleuves, les mers ne séparent plus les royaumes. L’architecture est renversée de fond en comble ; les fenêtres deviennent des portes, les cheminées des corridors, les toits des places publiques. Il faudra griller les cours et les jardins comme des volières. Plus de guerre ; la stratégie est inutile, l’artillerie ne peut plus servir ; pointez donc les bombes contre les hommes qui passent au-dessus des nuages et essuient leurs bottes sur la tête des condors. Dans quelque temps d’ici, comme on rira des chemins de fer, de ces marmites qui courent sur des tringles en fer et font à peine dix lieues à l’heure !Et mon ami ponctuait chaque phrase d’un verre de vin. Son enthousiasme tournait au dithyrambe, et pendant deux heures, il ne cessa de parler sur ce ton, décrivant le nouveau monde, que son invention allait nécessiter, avec une richesse de couleurs et d’images à désespérer un disciple de Fourier. Puis, voyant que le jour allait paraître, il reprit son appareil et me promit de venir bientôt me rendre une autre visite. Je lui ouvris la fenêtre, il s’élança dans les profondeurs grises du ciel, et je restai seul, doutant de moi-même et me pinçant pour savoir si je veillais ou si je dormais.
J’attends encore la seconde visite de mon ami volatile et ne l’ai plus rencontré sur aucun boulevard, même extérieur. Sa machine l’a-t-elle laissé en route ? S’est-il cassé le cou ou s’est-il noyé dans un océan quelconque ? A-t-il eu les yeux arrachés par l’oiseau Rock sur les cimes de l’Himalaya ? C’est ce que j’ignore profondément. Je vous ferai savoir les premières nouvelles que j’aurai de lui.
Théophile Gautier "Une Visite nocturne" 1843
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Par Cruella le 7 Novembre 2014 à 18:01
Je souhaiterais vous faire part d’une révélation surprenante, j’ai longtemps observé les humains, et ce qui m’est apparu quand j’ai tenté de qualifier votre espèce, c’est que vous n’étiez pas réellement des mammifères… Tous les mammifères sur cette planète ont contribué au développement naturel d’un équilibre avec le reste de leur environnement, mais vous les humains vous êtes différents. Vous vous installez quelque part, et vous vous multipliez, vous vous multipliez, jusqu’à ce que toute vos ressources naturelles soit épuisées, et votre espoir de réussir à survivre, c’est de vous déplacer jusqu’à un autre endroit… Il y a d’autres organismes sur cette planète qui ont adopté cette méthode, vous savez lesquels ?. .. Les virus. Les humains sont une maladie contagieuse, le cancer de cette planète, vous êtes la peste et nous, nous somme l’antidote !.
Andy et Lana Wachowski
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Par Cruella le 1 Novembre 2014 à 10:35Sainte Cécile:
Ste Cécile naquit dans la noble famille pratiquante de Rome des Coecilia dont sont issus beaucoup de sénateurs. Elle possédait tous les dons de grâce, de beauté et d'innocence qu'une jeune fille pouvait avoir. Riche et cultivée, elle était fervente des arts et avait un talent tout particulier pour la musique. Très jeune, elle voua sa vie à Dieu et fit vœu de virginité.
Contre son gré, son père la maria à un jeune païen nommé Valérien. Le jour des noces arriva et, pendant que tout le monde chantait et dansait, Cécile s'était retirée pour invoquer la protection du Ciel dans cette situation difficile, tout en chantant dans son cœur et en récitant des psaumes. Cette situation est à l'origine de la vénération en temps que patronne de la musique. Valérien, homme remarquable, était connu pour être de grande compréhension.
Au soir du mariage lorsque les jeunes époux se retrouvèrent dans leur chambre, Cécile dit à son mari: - Je vais te conter un secret qu'il faut jurer de ne divulguer à personne. Je suis accompagnée d'un ange qui veille sur moi. Si tu me touches dans le cadre du mariage, il se mettra en colère et tu souffriras. Si tu respectes ma décision, il t'aimera comme il m'aime.
Valérien répliqua :
- Montre moi cet ange.
Elle lui dit :
- Si tu crois en Dieu, et que tu deviens baptisé, tu le verras .
Valérien accepta Cécile comme épouse et promit de respecter son vœu sans revendiquer les droits issus du mariage.
Il restait très impressionné par la piété et l'état de grâce de sa femme. Avec l'aide du pape St Urbain, Cécile réussit à convertir son mari au christianisme et à le faire baptiser.
En retournant vers son épouse, il la trouva en prière avec un ange aux ailes de feu à côté d'elle. L'ange couronna Cécile de roses et Valérien de lilas et leur dit alors :
- Recevez ces couronnes, elles sont un signe du Ciel. Jamais elles ne sécheront ni ne perdront leurs parfums. Quant à toi Valérien, demande moi ce que tu veux. Il souhaita que son frère Tiburcius, qui lui était très cher, l'accompagne dans sa foi. Son vœu fut accepté. Lorsque Tiburcius entra dans la maison, le parfum des fleurs invisibles à ses yeux le saisirent et il se laissa convaincre par Cécile et Valérien de renoncer à ses faux dieux. Il se convertit et fut baptisé par St Urbain.
Les deux jeunes époux vécurent dans la chasteté et se dévouèrent aux bonnes oeuvres. Cécile chantait les louanges de Dieu avec assiduité et y joignait souvent un instrument de musique.
Mais les persécutions cruelles des chrétiens, perpétrées par l'empereur Marc-Aurèle auront raison d'eux. A cause de leur ardeur à ensevelir les corps des martyrs chrétiens dans les catacombes à l'extérieur de la ville, ils furent arrêtés. Le préfet Almachius les incita à renoncer à leur foi ce qu'ils refusèrent. Alors afin qu'ils ne puissent pas prendre de dispositions pour faire don de leur bien, ils furent condamnés à être décapités après flagellation. Maximus, l'officier chargé de rendre la sentence, après avoir vu une apparition de martyrs, se convertit soudainement à la religion chrétienne et subit le même sort. Les trois hommes furent exécutés aux alentours de Rome.
Bravant le danger, Cécile les ensevelit dans les catacombes de St Praetextatus sur la Via Appia et décida d'utiliser à l'avenir sa maison pour prêcher la foi. Avec une éloquence sans pareille, Cécile convertit de plus en plus de gens. Un jour, lorsque le pape Urbain lui rendit visite à domicile, il baptisa plus de 400 personnes.
Peu de temps après Valérien , elle fut arrêtée et amenée devant le préfet pour avoir enterré les corps de son mari et de Tiburcius. Elle n'eut pas d'autres choix que la vénération des dieux païens ou la mort. Après une glorieuse profession de foi, elle fut condamnée à mort.
Mais exécuter une fille d'une telle noblesse au service des pauvres n'était pas chose aisée même au temps des empereurs cruels. Rejetant une exécution publique elle fut condamnée à être enfermée dans la salle de bain (sudatorium) de sa propre maison à Trastevere et à suffoquer par la vapeur. Le foyer fur chargé à sept reprises de sa charge normale. La chaleur et la vapeur n'eurent pas raison d'elle. Lorsqu'elle tomba inconsciente, au bout d¹un jour et une nuit le préfet en colère ordonna de la décapiter.
A la vue de la sainte, le soldat envoyé perdit courage et tremblant frappa à trois reprises, mais en vain. La loi romaine interdisant le quatrième coup, elle fut abandonnée gisant dans son sang. Aussitôt les chrétiens se ruèrent dans la maison et essuyèrent les blessures avec les habits de lin, sans la bouger du sol. Cécile survécut trois jours pendant lesquels elle n'avait de cesse à prêcher sa foi et d'encourager les pauvres. Lorsque St Urbain arriva, elle fit don de sa maison pour y construire une église et légua ses biens aux pauvres. Alors tournant sa face contre terre, Cécile mourut le 22 novembre de l'an 230.
Elle fut inhumée dans la position exacte où elle expira, avec les doigts étendus, dans les catacombes de St callixte à côté de la crypte des papes avec, à ses pied, les vêtements ayant essuyé ses plaies. Les catacombes de Saint Callixte se trouvent parmi les plus grandes de Rome. Cet ensemble cimetiéral construit au milieu du second siècle occupant 15 hectares de terrain se compose de 20 km de galeries à plusieurs niveaux à 20 mètres sous terre.
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Par Cruella le 13 Octobre 2014 à 10:41
Un jour, je vis un démon dans une flamme de feu, qui surgit devant un Ange assis sur un nuage; et le démon dit ces mots:
"Le culte de Dieu est de rendre honneur à ses dons dans d'autres hommes, à chacun selon son génie, aux plus grands le meilleur amour. Envier ou calomnier les grands hommes, c'est haïr Dieu, car il n'est pas d'autre Dieu."
L'ange en entendant ces mots, devient presque bleu; mais, se maîtrisant, il jaunit, puis enfin tourna au blanc rose; et souriant il répliqua:
"O idolâtre, Dieu n'est pas un? Et n'est-il pas visible en Jésus-Christ? Et Jésus-Christ n'a-t-il pas donné son assentiment à la loi des dix commandements? et tous les autres hommes ne sont-ils pas des insensés, des pécheurs, des zéros?
Le démon répondit: "Broie l'insensé comme le grain de blé sous la meule! Tu ne séparera pas de lui sa folie. Si Jésus-Christ est le plus grand amour. Mais écoute à présent comme il a donné son assentiment à la loi dix commandements: ne s'est-il pas moqué du sabbat, moquant ainsi le sabbat de Dieu? N'a-t-il pas meurtri ceux qui furent meurtries en son nom? Volé le travail de ceux qui le faisaient vivre? Toléré le faux témoignage en faisant de se défendre contre Pilate? Convoité lorsqu'il priait pour ses disciples et qu'il leur enjoignait de secouer la poussière de leurs sandales contre ceux qui refusaient de les loger?"
Je vous le dit, nulle vertu ne peut exister qu'elle ne brise ces dix commandements. Jésus était tout vertu; il agissait par impulsion, non selon les règles.
Après qu'il eut ainsi parlé, je regardait l'Ange; il écarta les bras, embrassa la flamme de feu, fut consumé et resurgit en 2lisée.
Note. Cet ange qui maintenant est devenu démon, est mon ami particulier; nous lisons souvent la Bible ensemble, dans son sens infernal ou diabolique - que le monde connaîtra s'il se conduit bien.
J'ai aussi: la Bible de l'Enfer, que le monde connaîtra, qu'il veuille ou non.W. Blake
Le mariage du Ciel et de l'Enfer
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Par Cruella le 27 Septembre 2014 à 20:05
À propos de l’enfer et du paradis, question étrangement actuelle, Kafka donne la réponse suivante : le paradis est toujours là, il n’a pas bougé, et l’expulsion a été, et reste, la punition la plus douce. Il pourrait y avoir pire : la destruction du paradis, ou, plus effroyable encore, l’inaccessibilité définitive à la vie éternelle. L’époque y prétend. La Bête, qui ne fait l’Agneau que d’un ? il, sait à quoi s’en tenir sur son Anti-Bête. L’Anti-Bête des derniers temps est la Bête devenue entièrement Parasite. Elle n’est rien, mais veut être tout.
Le faux sens commun sent ce danger. La Bête est très à l’aise avec ceux dont la vie est simple, paysans, ouvriers, techniciens de base, elle est, d’instinct, très bien acceptée par ces catégories de ce que George Orwell appelle « la décence ordinaire ». En revanche, elle est très mal vue de l’intelligentsia en général, intellectuels, professeurs, universitaires, journalistes. La Bête comprend et approuve, de façon innée, la réalité quotidienne. Encore une fois, elle est tranquille et ne dérange pas les oiseaux. Sa langue est aussi celle des oiseaux.Comme les gens les plus ordinaires, la Bête n’entre pas dans les mémorials, les cimetières sous la lune, les ossuaires, les listes, les panthéons. Seul signe distinctif : on ne trouvera pas ses restes dans les sous-bois, les fourrés, ou au bord de l’eau. Ils sont là, sans doute, mais personne ne s’en doute. Pas de tombeau grandiloquent, pas de sépulcre blanchi, pas d’inscription, pas de stèle. Pas non plus de gestes romantiques : cendres jetées dans un fleuve ou dans l’océan, dispersion dans l’espace et autres fadaises. La Bête était là pour rien, il n’en reste rien.
À la rigueur, des mots, des récits, des livres, des peintures, des sculptures, de la musique, mais rien d’obligatoire, au contraire de la prétendue « histoire de l’art », ou « histoire des idées ». De l’art ? Des idées ? Donnez des détails concrets, qu’on s’amuse.La Bête est favorable à la Science quand celle-ci la libère, mais n’aime pas être délimitée ni définie. Ce qui l’occupe, c’est de sortir des limitations d’époque, de sauter par-dessus ce qu’on lui présente comme étant son temps, bref d’aller plus loin dans la trame . Elle sera vite traitée d’« élitiste » par l’Église parasitaire, ce qui, désormais (comme Orwell le prévoyait), est considéré comme un crime. La Bête reste indifférente à la mascarade de l’art dit « contemporain » comme à la bouillie du « débat d’idées » et autres brouillages. Elle ne cherche pas, elle trouve. Quoi ? L’or du temps.
La Bête fait travailler ses Parasites. En un sens, elle a besoin de leur activité de fourmis. Les hallucinés de l’arrière-monde, comme les sociolâtres, sont ses employés à leur insu. Plus la Bête grandit spirituellement, plus elle a de Parasites. Elle peut ainsi mesurer ses progrès avec l’augmentation du nombre de ses meurtriers.Les Voyageurs du Temps
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