• Il était une fois une souris qui vivait avec ses petits dans une vaste maison, elle avait bien sûr souffert et souffert de solitude et d'abandon mais maintenant les tourments s’étaient calmés, et cette joie immense de ramener des morceaux à manger et surtout des jouets pour ces petits la faisait vivre et vivre.
    Ce jour comme tous les dimanches elle quitta son trou car les maîtres de la maison sortaient à la messe et à la campagne. Alors elle traversa le salon pour atteindre la cuisine, et là surprise et merveille: des morceaux de fromage et des bobines de fil pour les jeux de ses enfants. Puis elle revient vers sa tanière.
    C’est alors qu’elle le vit, lui énorme, immense et noir, lui le gros chat noir, juste au milieu du salon entre la cuisine et son refuge. Elle n’osait plus respirer attendant la mort. Un long silence et rien. Elle rouvrit les yeux et se dit: il dort sans doute. Elle longe alors les murs lentement sans lâcher ses trophées.
    Doucement, doucement. Toujours rien et là du bout du pied elle reconnaît son trou et les cris des souriceaux. Encore quelques pas elle sera sauvée. Rien toujours alors elle lance ses cadeaux dans le trou, les enfants glapissent de joie. C’est alors qu’elle l’entendit, lui le chat noir.
    Sa voix roulait le long des murs et il disait: douce dame ne croyait pas que je sois là par hasard, tous les dimanches je vous guette et vous regarde, je vous sens et vous respire. Madame je vous aime. C’est elle qui ne bouge plus.
    Un très grand silence tombe, puis lentement à reculons après avoir jeté un dernier regard sur ses souriceaux, lentement très lentement, elle revient vers le chat noir. Maintenant elle peut le sentir contre elle. Alors elle ferme les yeux et dit d’une voix fluette: chat, grand chat noir, faites ce que vous avez à faire, mais faites le vite

    Conte adapté de Kafka par C. Bobin *

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  • J'étais dans une imprimerie, en Enfer, et je vis la méthode par laquelle est transmis, de génération en génération, le savoir.
    Dans la première chambre, était un Dragon-homme, balayant les gravats à la bouche d'une caverne; à l'intérieur, plusieurs dragons approfondissaient la caverne.
    Dans la seconde chambre, était une vipère enroulée autour du roc et de la caverne, et d'autres ornant celle-ci avec de l'or, de l'argent et des pierreries.
    Dans la troisième chambre, je vis un aigle, dont les ailes et les plumes étaient d'air; et il rendait l'intérieur de la caverne infini; alentour, nombre d'aigles, pareils à des hommes, édifiaient des palais sur les rocs immenses.
    Dans la quatrième chambre, des lions de flamme ardente tournaient furieux, et fondaient les métaux en fluides vivants.
    Dans la cinquième chambre, des formes sans nom jetaient les métaux dans l'espace.
    Ceux-ci étaient reçus dans la sixième chambre par des hommes; ils y prenaient l'aspect de livres et formaient des bibliothèques.

    W. Blake
    Le mariage du Ciel et de l'Enfer

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  • Les poètes de l'antiquité peuplaient le monde sensible de dieux et de génies, auxquels ils donnaient les noms - et qu'ils revêtaient des attributs - des bois, des ruisseaux, des montagnes, des lacs, des peuples, des cités, et de quoi que ce soit que leurs nombreux sens élargis pussent atteindre.
    Ils étudiaient particulièrement le génie de chaque ville et de chaque contrée, plaçant celui-ci sous la tutelle de sa déité spirituelle;
    Mais bientôt, pour l'avantage de quelques-uns, et pour l'asservissement de la masse, un effort fut tenté d’abstraire ces déités, qui s'échappèrent ainsi de leur matérialité première : les prêtre entrèrent en scène.
    Instituant les rites, d'après les premiers récits des poètes,
    Et finalement les prêtres déclarèrent, qu'ainsi l'avaient voulu les Dieux.
    Les hommes oublièrent alors que, seul, le cœur de l'homme est le lieu de toutes les déités.

    W. Blake
    Le mariage du Ciel et de l'Enfer

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  • Tandis que les crachats rouges de la mitraille
    Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ;
    Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
    Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

    Tandis qu’une folie épouvantable, broie
    Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ;
    — Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
    Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…

    — Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
    Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ;
    Qui dans le bercement des hosannah s’endort,
     
    Et se réveille, quand des mères, ramassées
    Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
    Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

    Arthur Rimbaud *

    * Arthur Rimbaud écrit Le Mal en 1870, poème à travers lequel il exprime une profonde révolte et dénonce l’horreur de la guerre et l’indifférence de Dieu face au carnage (il remet en cause la religion chrétienne).

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