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    Thomas demeura à lire dans sa chambre. Il étais assis sur une chaise de velours, les mains jointes au-dessus de son front, les pouces appuyés contre la racine des cheveux, si absorbé qu'il ne faisait pas un mouvement lorsqu'on ouvrait la porte. Ceux qui entraient se penchaient sur son épaule et lisaient ces phrases :
    "Il descendit sur la plage : il voulait marcher. L'engourdissement gagnait après les parties superficielles les régions profondes du coeur. Encore quelques heures et il savait qu'il s'en irait doucement à un état incompréhensible sans jamais connaître le secret de sa métamorphose. Encore quelques instants et il éprouverait cette paix que donne la vie en se retirant, cette tranquillité de l'abandon au crime et à la mort. Il eut envie de s'étendre sur le sable : las et informe, il épiait le moment où allait paraître la première agonie de sa vie, un sentiment merveilleux qui doucement le délierait de ce qu'il y avait de raidi dans ses articulations et ses pensées. Il vit que tout en lui préparait le consentement : son corps commençait à se détendre; ses mains ouvertes s'offraient au malheur; ses yeux mi-fermés faisaient signe au destin."

    "L'obscur Thomas" Maurice Blanchot

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    Où était le vrai ? Où était le faux ? Lorsque j’essayais de me taire, de ne plus me laisser engluer dans ce ressassement dérisoire, dans ces illusions de parole affleurante, le silence, tout de suite, devenait insupportable. Lorsque j’essayais de parler, de dire quelque chose de moi, d’affronter ce clown intérieur qui jonglait si bien avec mon histoire, ce prestidigitateur qui savait si bien s’illusionner lui-même, tout de suite j’avais l’impression d’être en train de recommencer le même puzzle, comme si, à force d’en épuiser une à une toutes les combinaisons possibles, je pouvais un jour arriver enfin à l’image que je cherchais.

    Penser / Classer de Georges Perec

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    ..Et la nuit s'écrase alentour, également, pèse, pousse, presse. La nuit qui ne tombe pas uniquement du ciel, mais de partout, de n'importe où. Il n'y a que la nuit, c'est ainsi depuis bien longtemps, elle se dévoile et avoue, ne triche plus, joue enfin sans grimaces, elle dit son nom. Je m'appelle "jamais". Je m'appelle "hier", "avant-hier", "toujours". Je m'appelle "de toute façon". La nuit qui s'insinue. Elle crie au cœur des plus vives lumières, c'est peut-être dans ces chatoiements qu'elle a le plus de voix, que son cri déchire avec le plus de force. La nuit respire, c'est bien normal, c'est une bête vivante...

    "Le méchant qui danse"  Pierre Pelot *

     

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    L'œuvre de nombreux artistes a été influencée par des pathologies ou des lésions cérébrales. Dostoïevski est épileptique et retranscrit des expériences dans ses romans ; Apollinaire se met à peindre des aquarelles plutôt qu'à écrire des poèmes après avoir reçu un éclat d'obus dans la tête en 1916 ; Braque, également blessé en 1915, change de style après sa trépanation, comme Goya, après son encéphalite ; les compositions de Ravel sont modifiées par son atrophie cérébrale ; Hildegarde de Bingen et de Chirico dessinaient des auras migraineuses ; Dali utilisait son tremblement parkinsonien pour peindre dans ses dernier opus ; Van Gogh totalisait plus de maladies neurologiques que le pauvre docteur Gachet ne pouvait en dépister et la liste des maniaco- dépressifs serait trop longue à énumérer et constitue pour Aristote un élément constitutif du génie.

    "Portrait du cerveau en artiste"  Pierre Lemarquis

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    Toutes ces pensées qui se bousculent, s'entrechoquent, jaillissent et éclatent, explosent, qui vous font la tête aussi vaste que le monde et malgré tout, pourtant, trop petite encore, trop exigüe, trop étroite. La tête qui étouffe, qui se noie, étranglée. Tellement de pensées, d'images, certaines terrifiantes, insoutenables, et qui certainement, sans aucun doute, vous sécheraient sur place d'effroi, pourraient vous tuer, seraient capables de vous calciner le cœur, si elles avaient la capacité d'atteindre l'éclosion totale, absolue, de leur floraison carnivore... si elles n'étaient chassées par d'autres pensées, en bouffées broussailleuses celles-là, folles, et qui se déversent dans le chaos le plus absolu.

    "Le méchant qui danse"  Pierre Pelot *

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