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    L'âme adore nager.
    Pour nager on s'étend sur le ventre.
    L'âme se déboîte et s'en va.
    Elle s'en va en nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)
    On parle souvent de voler.
    Ce n'est pas ça.
    C'est nager qu'elle fait.
    Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.
    Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager.
    On les appelle vulgairement des paresseux.
    Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.
    L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c'est une force effroyable qu'il faudrait pour rompre le fil), ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).
    Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz — jouissance sans fin.
    C'est pourquoi le paresseux est indécrottable.
    Il ne changera jamais.
    C'est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices.
    Car qu'est-ce qui est plus égoïste que la paresse?
    Elle a des fondements que l'orgueil n'a pas.
    Mais les gens s'acharnent sur les paresseux.
    Tandis qu'ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l'eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme.
    Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l'on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants."

    Henri Michaux

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    Moi aussi tu sais, il m'est arrivé un beau matin de devoir repenser ma vie. J'en avais gaspillé plus de la moitié dans l'oubli à ne penser qu'aux autres...
    Tout comme toi peut-être, je me souviens très bien du matin où je suis entrée en conversation avec moi-même. Ce ne fut pas facile au début de revoir ces images de ma vie en lambeaux. Mais je voulais les regarder. J'avais laissé tellement de gens jouer avec mon coeur. Tellement de gens détruire mon âme et me blesser. J'avais du regret pour le mal que je me suis laissé faire par eux et, ce matin là, c'était comme dans un rêve. Plus j'essayais de me parler, plus je me sentais étrangère à ma propre vie.
    Là, j'ai beaucoup pleuré; et j'ai osé pour la première fois, me regarder et m'écouter. J'ai vu alors la femme que j'étais vraiment et je me suis pardonnée. Pardonnée de m'être oubliée. Toute ma vie, je me suis sentie fragile et démunie. C'est pour cela d'ailleurs que j'écris.
    Je suis une rêveuse, une solitaire, une petite femme éphémère avec un coeur grand comme l'océan qui a aimé jusqu'au bout de son sang. Il y a toujours des larmes dans mes yeux... Çà, c'est pour toutes les fois où je n'ai pas voulu baisser les armes. J'aurais pourtant dû comprendre bien avant, qu'entre deux pays, il y a un océan.
    J'ai passé plus de la moitié de ma vie dans le rêve; maintenant, je n'ai plus besoin d'anesthésie. Je veux vraiment parler à la femme que je suis. Ce matin-là, j'ai effacé de ma vie tous les souvenirs amers,
    les mauvais rêves et tout ce qui m'avait fait souffrir. Je n'ai gardé que le merveilleux et c'est là,
    que les larmes sont revenues dans mes yeux. Là, j'ai souri et j'ai compris que je ne serais plus jamais seule pour pleurer. Je venais à peine de me rencontrer.


    Claire De La Chevrotière

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    "Peut-être que les morts sont toujours comme des noyés. On croit les ensevelir dans le flot quotidien des joies et des peines ordinaires, des millions d'autres choses à penser ou à faire, et la moindre tempête d'insomnie les ramène au rivage au milieu d'une vague de sueur et d'angoisse..."

     

    Il était une ville - Thomas B. Reverdy *

     

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    Si intimidée qu'on la suppose, une nation vieille de mille ans reste un être organisé, garde un cœur et un cerveau, ne saurait s'arrêter de penser. Elle a besoin d'un fond d'idées et de sentiments communs, d'une opinion : la république a mis près d'un siècle à le créer. Ayant d'abord abruti de notions contradictoires, de grands mots venus d'ailleurs, puis finalement réduit au silence le peuple autochtone, elle a dû se servir, pour refaire peu à peu ce qu'elle avait détruit, des quelques éléments restés à sa disposition. L'ardente minorité juive, admirablement douée pour la controverse, profondément indifférente à la phraséologie occidentale, mais qui voit dans la lutte des idées, menées à coups de billets de banque, un magistral alibi, devint tout naturellement le noyau d'une nouvelle France qui grandit peu à peu aux dépens de l'ancienne jusqu'à se croire, un jour, de taille à jouer la partie décisive. Mais entre-temps, l'autre France était morte... Tradition politique, religieuse, sociale ou familiale, tout avait été minutieusement vidé, comme l'embaumeur pompe un cerveau par les narines. Non seulement ce malheureux pays n'avait plus de substance grise, mais la tumeur s'était si parfaitement substituée à l'organe qu'elle avait détruit, que la France ne semblait pas s'apercevoir du changement, et pensait avec son cancer !

    "La grande peur des bien-pensants" Georges Bernanos

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    Les décrets des conciles, les brefs et les encycliques, les prédications et les miracles ne nous apprendraient rien de plus que l'humble vérité que j'énonce ici, avec une tranquille assurance : la société qui se crée peu à peu sous les yeux réalisera aussi parfaitement que possible, avec une sorte de rigueur mathématique, l'idéal d'une société sans Dieu. Seulement, nous n'y vivrons pas. L'air va manquer à nos poumons. L'air manque. Le Monde qui nous observe avec une méfiance grandissante s'étonne de lire dans nos yeux la même angoisse obscure. Déjà quelques-uns d'entre nous ont cessé de sourire, mesurent l'obstacle du regard... On ne nous aura pas... On ne nous aura pas vivants !

     

    "La grande peur des bien-pensants" Georges Bernanos *

     

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