• "Et en me promenant, je fixe désespérément les yeux sur le pavé gris, pour ne pas devoir regarder les prisonniers qui travaillent dans la cour, et qui, dans leur costume de forçats, me causent une vive douleur. Il y en a toujours deux ou trois parmi eux, chez lesquels l'âge, le sexe, les traits individuels ont disparu sous le sceau de la plus profonde dégradation humaine, mais qui exercent sur moi, peut-être précisément pour cela, une sorte de magnétisme douloureux, et ont le don d'attirer toujours à nouveau mes regards. Il est vrai que, d'autre part, il y a partout aussi quelques silhouettes, que même le costume de prisonnier n'a pu changer, et qui réjouiraient l'oeil d'un peintre. Ainsi j'ai découvert dans la cour une jeune ouvrière qui, avec sa taille svelte et musclée, et sa tête au profil sévère, drapée d'un fichu, ressemble étrangement à un Millet. C'est un vrai plaisir que de voir avec quelle noblesse de mouvement elle porte des fardeaux; son visage maigre à la peau tendue, son teint d'une blancheur de craie fait penser au masque tragique d'un pierrot. Mais j'ai eu trop de tristes expériences dans la vie pour ne pas chercher à éviter de pareilles apparitions, toutes pleines de promesses qu'elles semblent au premier abord. Dans la prison de la rue de Barnim, j'avais découvert une prisonnière du même genre, qui avait le port et le maintien d'une reine, et je m'imaginais que son âme devait être de même nature que son corps. Mais bientôt après, elle vint dans mon département, comme domestique, et après trois jours je dus reconnaitre que sous ses belles apparences, il y avait tant de bêtise et dans de vilenie que depuis lors, je ne pus que détourner les yeux quand je la rencontrai sur mon chemin. La pensée me vint alors que si la Venus de Milo avait pu garder à travers les siècles la réputation d'être la plus belle des femmes, c'est parce qu'elle ne peut ouvrir la bouche. Si elle parlait, je ne sais si tout son charme ne s'en irait pas au diable."

    Lettre de la prison (extrait)

    Rosa Luxembourg

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Dans la position qu’elle occupait jusque-là, elle avait été à l’écart de la lumière ; maintenant, j’avais une idée distincte de l’ensemble de sa figure et de sa contenance. Elle était mince et paraissait à peine avoir cessé d’être une jeune fille : une forme admirable et le visage le plus exquis que j’aie jamais eu le plaisir de contempler ; des traits petits, très blonde avec des boucles jaunes ou plutôt dorées flottant librement sur son col délicat, et des yeux qui, s’ils avaient eu une expression plus avenante, auraient été irrésistibles ; mais par bonheur pour mon cœur aisément inflammable, le seul sentiment qu’ils exprimaient était quelque chose d’intermédiaire entre le mépris et une sorte de désespoir qu’il semblait singulièrement peu naturel de découvrir là. Les paniers étaient presque impossibles à atteindre pour elle, et je fis un mouvement pour l’aider ; mais elle se tourna vers moi comme ferait un avare vers quelqu’un qui voudrait l’aider à compter son or.

    E. Brönté "Un amant"

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

     

    La séduction des yeux. La plus immédiate, la plus pure. Celle qui se passe de mots, seuls les regards s'enchevêtrent dans une sorte de duel, d'enlacement immédiat, à l'insu des autres, et de leur discours : charme discret d'un orgasme immobile, et silencieux. Chute d'intensité lorsque la tension délicieuse des regards se dénoue en mots par la suite, ou en gestes amoureux. Tactilité des regards où se résume toute la substance virtuelle des corps (de leurs désirs ?) en un instant subtil, comme en un trait d'esprit - duel voluptueux et sensuel, et désincarné à la fois - épure parfaite du vertige de la séduction, et qu'aucune volupté plus charnelle n'égalera par la suite.

    Jean Baudrillard *

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

     

    La solitude

    La solitude est une vieille amie debout à votre côté dans le miroir ; elle vous regarde droit dans les yeux, vous met au défi de mener votre vie sans elle. Vous ne pouvez pas trouver les mots pour lutter contre vous même, lutter contre les mots qui hurlent que vous n'êtes pas à la hauteur, que vous ne le serez jamais vraiment, jamais vraiment.

    "Ne m'échappe pas" Tahereh Mafi

    Ne m'échappe pas

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Etreinte des doigts

     

     

    Il y avait cette tâche de soleil sur la table du café, et depuis un moment déjà, je ne les écoutais plus ne pas être d'accord. Je ne voyais que ce reflet d'or déversé comme par miracle au milieu des paroles. À un moment j'ai dit :“ j'aimerais faire la photo de vos deux mains dans cette tâche de lumière…” Ils virent le soleil posé là, leurs mains se joignirent, simple et sublime étreinte des doigts qui s'entremêlent sur fond de vitrail improvisé. Capture au portable, il permet ça, œil si prompt à tout saisir. Il y eut un silence, la conversation disparue. Leurs sourires restèrent suspendus dans le silence, un même sourire. Puis elle a dit, fixant le tableau des mains et de la lumière… “c'est beau”. Et le silence reprit.

    jacques dor *

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique