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    Viens te lover dans ma main, galet,
    Tiens un instant compagnie
    A l'anonyme passant. Toi , le pain cuit
    au feu originel, nourris ce passant
    de ta force tenace, de ta tendresse
    lisse , au bord de cet océan
    sans borne, où tout vivant, accorde
    au mendiant sans voix les faveurs,
    fais moi don de tes inépuisables
    trésors : fête de l'aube, festins
    du soir, farandoles sans fin des astres,
    tant et tant de tes glorieux compagnons
    réunis ici en toi, un instant lovés
    dans le creux charnel de ta paume !
    Toi qui survis à tout, garderas-tu
    mémoire de cette singulière rencontre ?
     
    "La vraie gloire est ici"  François Cheng
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  • Ce n'est qu'un vent furtif que le bien de nos jours,
    Qu'une fumée en l'air, un songe peu durable ;
    Notre vie est un rien, à un point comparable,
    Si nous considérons ce qui dure toujours.

    L'homme se rend encor lui-même misérable,
    Ce peu de temps duquel il abrège ses jours
    Par mille passions, par mille vains discours,
    Tant la sotte raison le rend irraisonnable.

    Plus heureuses cent fois sont les bêtes sauvages,
    Cent fois sont plus heureux les oiseaux aux bocages
    Qui vivent pour le moins leur âge doucement.

    Ah ! que naître comme eux ne nous fait la Nature,
    Sans discours ni raison, vivant à l'aventure,
    Notre mal ne nous vient que de l'entendement.

    Jacques Vallée DES BARREAUX   (1599-1673)

     

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  • Espiègle ! j'ai bien vu tout ce que vous faisiez,
    Ce matin, dans le champ planté de cerisiers
    Où seule vous étiez, nu-tête, en robe blanche.
    Caché par le taillis, j'observais. Une branche,
    Lourde sous les fruits mûrs, vous barrait le chemin
    Et se trouvait à la hauteur de votre main.
    Or, vous avez cueilli des cerises vermeilles,
    Coquette ! et les avez mises à vos oreilles,
    Tandis qu'un vent léger dans vos boucles jouait.
    Alors, vous asseyant pour cueillir un bleuet
    Dans l'herbe, et puis un autre, et puis un autre encore,
    Vous les avez piqués dans vos cheveux d'aurore ;
    Et, les bras recourbés sur votre front fleuri,
    Assise dans le vert gazon, vous avez ri ;
    Et vos joyeuses dents jetaient une étincelle.
    Mais pendant ce temps-là, ma belle demoiselle,
    Un seul témoin, qui vous gardera le secret,
    Tout heureux de vous voir heureuse, comparait,
    Sur votre frais visage animé par les brises,
    Vos regards aux bleuets, vos lèvres aux cerises.

    (Recueil : Promenades et Intérieurs.)

    François Coppée

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  • Le berger :
    Attention

     

    Chantons les amours de Lubin,
    Nuit et jour il soupire en vain :
    Hélas ! sans espérance.
    Lise, pourtant, l'aime en secret ;
    Mais il l'ignore, et n'oserait
    Parler de sa, parler de sa,
    Parler de sa constance.


    Content d'admirer ses attraits,
    Il n'ose approcher de trop près,
    Tant Lubin est honnête :
    Il croit, sans se rendre suspect,
    Qu'on doit, à force de respect,
    Mériter sa, mériter sa,
    Mériter sa conquête.

    Lise, un beau jour, d'un air coquet,
    Lui dit: suis-moi dans le bosquet ;
    Il court plein d'allégresse,
    Charmé de pouvoir à l'écart,
    Loin de tout importun regard,
    Lui montrer sa, lui montrer sa,
    Lui montrer sa sagesse.

    Voyez, dit-il, cet instrument
    Qui s'anime si tendrement,
    Du coeur, c'est l'interprète.
    Il dit ces mots d'un ton malin,
    Et tout aussitôt dans sa main
    Il lui mit sa, il lui mit sa,
    Il lui mit sa musette.

    Lise la prit nonchalamment ;
    La belle était en ce moment
    Assise sur l'herbette.
    Ses jupons étaient un peu courts ;
    Le berger s'enflammait toujours,
    Il lui prit sa, il lui prit sa,
    Il lui prit sa houlette.

    Puis il alla cueillir le thym,
    La violette et le jasmin,
    Le muguet, la lavande.
    Il revint tout chargé de fleurs,
    Lise en respirait les odeurs,
    Il lui mit sa, il lui mit sa,
    Il lui mit sa guirlande.

    Comme il en ornait ses beaux bras,
    La belle ayant fait un faux pas,
    Tomba sur la verdure ;
    Ses blonds cheveux flottaient au vent ;
    Lubin sans perdre un seul instant,
    Lui remit sa, lui remit sa,
    Lui remit sa coiffure.

    Tandis qu'il prend un soin si doux,
    Lise s'assied sur ses genoux
    D'un petit air d'aisance.
    Eh quoi, dit-il, seulette ici,
    Sur un berger placée ainsi,
    Sentez-vous sa, sentez-vous sa,
    Sentez-vous sa prudence ?

    Au village ils sont de retour,
    Lise abjurant un sot amour ;
    Et fier de sa prouesse,
    Lubin s'écriait tout joyeux :
    Peut-être, dans un an, ou deux,
    J'obtiendrai sa, j'obtiendrai sa,
    J'obtiendrai sa tendresse.

     

    Charles BORDES   (1711-1781)

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  • Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien,
    Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille,
    Le front couleur de lys et le regard qui brille
    Comme un éblouissant miroir vénitien !

    Ma mère que voici n'est plus du tout la même ;
    Les rides ont creusé le beau marbre frontal ;
    Elle a perdu l'éclat du temps sentimental
    Où son hymen chanta comme un rose poème.

    Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi,
    Ce front nimbé de joie et ce front de souci,
    Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années.

    Mais, mystère du coeur qui ne peut s'éclairer !
    Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées !
    Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer !

    Emile NELLIGAN   (1879-1941) *

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