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    A cette heure où les coeurs, d'amour rassasiés,
    Flottent dans le sommeil comme de blanches voiles,
    Entends-tu sur les bords de ce lac plein d'étoiles
    Chanter les rossignols aux suaves gosiers ?

    Sans doute, soulevant les flots extasiés
    De tes cheveux touffus et de tes derniers voiles,
    Les coussins attiédis, les draps aux fines toiles
    Baisent ton sein, fleuri comme un bois de rosiers ?

    Vois-tu, du fond de l'ombre où pleurent tes pensées,
    Fuir les fantômes blancs des pâles délaissées,
    Moins pâles de la mort que de leur désespoir ?

    Ou, peut-être, énervée, amoureuse et farouche,
    Pieds nus sur le tapis, tu cours à ton miroir
    Et des ruisseaux de pleurs coulent jusqu'à ta bouche.

     

    Théodore de BANVILLE (1823 - 1891) *

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  • Veux-tu l'acheter ?
    Mon coeur est à vendre.
    Veux-tu l'acheter,
    Sans nous disputer ?

    Dieu l'a fait d'aimant ;
    Tu le feras tendre ;
    Dieu l'a fait d'aimant
    Pour un seul amant !

    Moi, j'en fais le prix ;
    Veux-tu le connaître ?
    Moi, j'en fais le prix ;
    N'en sois pas surpris.

    As-tu tout le tien ?
    Donne ! et sois mon maître.
    As-tu tout le tien,
    Pour payer le mien ?

    S'il n'est plus à toi,
    Je n'ai qu'une envie ;
    S'il n'est plus à toi,
    Tout est dit pour moi.

    Le mien glissera,
    Fermé dans la vie ;
    Le mien glissera,
    Et Dieu seul l'aura !

    Car, pour nos amours,
    La vie est rapide ;
    Car, pour nos amours,
    Elle a peu de jours.

    L'âme doit courir
    Comme une eau limpide ;
    L'âme doit courir,
    Aimer ! et mourir.

     

    Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859) *

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  • Elle s'appelle Marie-France, elle a tout juste vingt ans
    Et elle vient d'épouser un inspecteur des finances
    Un jeune homme très brillant, qui a beaucoup d'espérances
    Mais depuis son mariage, chacun dit en la voyant

    Bourrée de complexes
    Elle a bien changé

    Faut la faire psychanalyser
    Chez un docteur pour la débarrasser
    De ses complexes à tout casser
    Sinon elle deviendra cinglée...

    Elle s'ennuie tout le jour dans son bel appartement
    Et pour passer le temps, elle élève dans sa baignoire
    Des têtards et le soir quand son mari est rentré
    Elle préfère s'enfermer avec ses invertébrés

    Bourrée de complexes
    Elle est dérangée

    Il n'y a rien à espérer
    Il n'y a vraiment qu'à la laisser crever
    Tout ça passe qu'elle a épousé
    Un coquelicot déjà fané

    Elle s'est inscrite au Racing pour y apprendre à nager
    Les têtards tôt ou tard ont fini par l'inspirer
    Et là-bas, un beau soir, elle a enfin rencontré
    Un sportif, un mastard, un costaud bien baraqué

    Bourrée de complexes
    Et tout a changé

    Car il est venu vivre chez eux
    Et le coquelicot soudain s'est senti mieux
    Ayant repris toute sa vigueur
    Il a enlevé le maître nageur

    Adieu les complexes
    Finis les complexes
    Elle a changé de sexe
    Tout est arrangé

     

    Boris Vian

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    Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
    Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
    Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
    De toute passion vigoureuse et profonde.

    Votre cervelle est vide autant que votre sein,
    Et vous avez souillé ce misérable monde
    D'un sang si corrompu, d'un souffle si malsain,
    Que la mort germe seule en cette boue immonde.

    Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin
    Où, sur un grand tas d'or vautrés dans quelque coin,
    Ayant rongé le sol nourricier jusqu'aux roches,

    Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
    Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
    Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.

     

    Charles-Marie Leconte de Lisle *

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    Ton regard tout de rêve et d'attente
    Si offert à la transparence que jamais
    l'aube y dépose sa promesse
    Aube de la vie, aube de ta vie, attendant
    Qu'au fond de la nuit s'esquisse une âme sœur
    et lentement prenne corps l'être de ton rêve
    Sachant faire siens faim et soif, gel et flamme
    Suivre en silence le courant des murmures
    et remonter jusqu'à la source des larmes
    Faire fi des saisons, des lointains
    sur le long chemin qui mène vers toi
    Cueillir en passant roses d'été, pétales d'automne
    frissons de grillons, laudes de l'alouette
    Pénétrer l'intime de la moindre fibre
    des feuilles, des fleurs, puis des fruits
    Être humble assez pour entendre l'impalpable
    dévoiler l'indicible, épouser l'inouï
    Se dépouiller tel un arbre en hiver
    ouvert aux affres et aux effrois
    Dressant ses branches contre le ciel étoilé
    Franchissant une à une les couches de la nuit
    Et venir enfin
    au-devant de la transparence de l'aube

    Et te dire, avec l'évidence du jour,
    "me voici!"

    "Le livre du Vide médian"  François Cheng *

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