• Tous sont malheureux parce que tous ont peur d'affirmer leur volonté. Si l'homme a été jusqu'à présent si malheureux et pauvre, c'est justement parce qu'il avait peur d'affirmer le point capital de sa volonté et qu'il en usait furtivement, comme un écolier. Je suis terriblement malheureux car j'ai terriblement peur. La peur est la malédiction de l'homme... Mais j'affirmerai ma volonté, j'ai le devoir de croire que je ne crois pas. Je commencerai, et je finirai, et j'ouvrirai la porte. Et je sauverai. Cela seul sauvera tous les hommes et, dans la génération suivante, les transformera physiquement ; car dans l'état physique actuel, j'y ai longtemps réfléchi, l'homme ne peut en aucun cas se passer de l'ancien Dieu. J'ai cherché trois ans l'attribut de ma divinité et j'ai trouvé : l'attribut de ma divinité est ma volonté ! C'est tout ce par quoi je puis manifester sur le point capital mon insoumission et ma terrible liberté nouvelle. Car elle est terrible. Je me tue pour manifester mon insoumission et ma terrible liberté nouvelle.

    "Les Démons"  Fiodor Dostoïevski *

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  • [...] les hommes ne sont-ils pas des vestiges de femmes ? Car tout foetus débute femelle avant de se différencier, et les corps des hommes en gardent à jamais la trace, les pointes inutiles de seins qui n'ont pas poussé, la ligne qui divise le scrotum et remonte le périnée jusqu'à l'anus en traçant l'endroit où la vulve s'est refermée pour contenir des ovaires qui, descendus, se sont mués en testicules, tandis que le clitoris poussait démesurément. Il ne me manquait en réalité qu'une chose pour être une femme comme elle, une vraie femme, le e muet en français des terminaisons féminines, la possibilité inouïe de dire et d'écrire: "Je suis nue, je suis aimée, je suis désirée." C'est ce e qui rend les femmes si terriblement femelles, et je souffrais démesurément d'en être dépossédé, c'était pour moi une perte sèche, encore moins compensable que celle du vagin que j'avais laissé aux portes de l'existence.

    "Les bienveillantes" Jonathan Littell

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    Et sa petite bouche rouge et intelligente lui enseigna beaucoup de choses, et sa main douce et souple aussi. En amour il était ignorant comme un enfant et enclin à se précipiter aveuglément dans les plaisirs des sens comme dans une eau sans fond. Elle lui apprit à ne point prendre un plaisir sans en donner un lui-même en retour ; elle lui enseigna que chaque geste, chaque caresse, chaque attouchement, chaque regard devaient avoir une raison, et que les plus petites parties du corps avaient leurs secrets, dont la découverte était une joie pour celui qui savait la faire. Elle lui apprit qu'après chaque fête d'amour les amants ne devaient point se séparer sans s'être admirés l'un l'autre ; chacun devait emporter l'impression d'avoir été vaincu dans la même mesure qu'il avait vaincu lui-même : l'un ne devait pas faire naître chez l'autre ce désagréable sentiment de satiété dépassée et d'abandon, qui pût faire croire à un abus d'une part ou d'une autre.

     

    "Siddhartha"   Hermann Hesse

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  • Les hommes sont, les uns par rapport aux autres, comparables à des murs situés face à face.
    Chaque mur est percé d'une multitude de petits trous où se nichent des oiseaux blancs et des oiseaux noirs.
    Les oiseaux noirs ce sont les pensées et les paroles négatives.
    Les oiseaux blancs ce sont les pensées et les paroles positives.
    Les oiseaux blancs, en raison de leur forme, ne peuvent entrer que dans les trous d'oiseaux blancs.
    Les oiseaux noirs, eux, ne peuvent nicher que dans des trous d'oiseaux noirs.
    Maintenant, imaginons deux hommes qui se croient ennemis l'un de l'autre.
    Appelons-les Youssouf et Moïse.
    Un jour, Moïse, persuadé que Youssouf lui veut du mal, se sent empli de colère à son égard et lui envoie une très mauvaise pensée.
    Ce faisant, il lâche un oiseau noir et, du même coup, libère un trou correspondant.
    Son oiseau noir s'envole vers Youssouf et cherche, pour y nicher, un trou vide adapté à sa forme.
    Si, de son côté, Youssouf n'a pas envoyé d'oiseau noir vers Moïse, c'est-à-dire s'il n'a émis aucune mauvaise pensée, aucun de ses trous noirs ne sera vide.
    Ne trouvant pas où se loger, l'oiseau noir de Moïse sera obligé de revenir vers son nid d'origine, ramenant avec lui le mal dont il était chargé, mal qui finira par ronger et détruire Moïse lui-même.
    Mais imaginons que Youssouf a lui aussi émis une mauvaise pensée.
    Ce faisant, il a libéré un trou où l'oiseau noir de Moïse pourra entrer afin d'y déposer une partie du mal et y accomplir sa mission de destruction.
    Pendant ce temps l'oiseau noir de Youssouf volera vers Moïse et viendra loger dans le trou libéré par l'oiseau noir de ce dernier.
    Ainsi les deux oiseaux noirs auront atteint leur but et travailleront à détruire l'homme auquel ils étaient destinés.
    Mais une fois leur tâche accomplie, ils reviendront chacun à leur nid d'origine, car il est dit : "Toute chose retourne à sa source".
    Le mal dont ils étaient chargés n'étant pas épuisé, ce mal se retournera contre leurs auteurs et achèvera de les détruire.
    L'auteur d'une pensée négative, d'un mauvais souhait ou d'une malédiction, est donc atteint à la fois par l'oiseau noir de son ennemi et par son propre oiseau noir lorsque celui-ci revient vers lui.
    La même chose se produit avec les oiseaux blancs.
    Si nous n'émettons que des pensées positives envers notre ennemi alors que celui-ci ne nous adresse que des pensées négatives, ses oiseaux noirs ne trouveront pas de place où se loger chez nous et retourneront à leur expéditeur.
    Quant aux oiseaux blanc porteurs de bonnes pensées que nous lui avons envoyées, s'ils ne trouvent aucune place libre chez lui, ils nous reviendront chargés de toute l'énergie bénéfique dont ils étaient porteurs.
    Ainsi, si nous émettons uniquement des pensées positives, aucun mal, aucune malédiction ne pourront jamais nous atteindre dans notre être.
    C'est pourquoi il faut toujours bénir et ses amis et ses ennemis.
    Non seulement la bénédiction va vers son objectif pour y accomplir sa mission d'apaisement, mais encore elle revient vers nous un jour ou l'autre, avec tout le bien dont elle était chargée.

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  • Avant d'entrer dans la maison où il est aujourd'hui, mon père a séjourné pendant quelques semaines chez les morts, à l'Hôpital psychiatrique de Sevrey, près de Châlon sur Saône, dans le pavillon "Edelweiss". Les morts n'étaient pas les malades mais les infirmiers qui les abandonnaient pour la journée entière sans aucun soin de parole. Les morts étaient ces gens de bonne santé et de vive jeunesse, répondant à mes questions en invoquant le manque de temps et de personnel, et qui, agacés, finissaient par conclure "de toute façon, vous ne pouvez pas comprendre. Vous êtes dehors et il faut être dedans, du métier, pour avoir la bonne intelligence, l'intelligence légitime." Les morts étaient ces gens murés dans leur surdité professionnelle. Personne ne leur avait appris que soigner c'est aussi dévisager, parler - reconnaître par le regard et la parole la souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu. Si égaré fût-il alors, mon père, montrant du doigt l'unique arbre présent dans la cour intérieure du pavillon - une torsade de bois et de douleur - leur avait par avance répondu : "il suffit de voir cet arbre pour comprendre que rien ne peut vivre ici.

     
    "La présence pure et autres textes"  Christian Bobin *
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