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    Si j'avais pu l'écrire pendant un rêve pourquoi ne pouvais-je pas le récrire pendant un rêve éveillé? Est-ce que l'un de ces états est tellement différent de l'autre? Puisque je me suis aventuré jusque-là, pourquoi ne pas compléter ma pensée et ajouter que mon unique but en écrivant a été d'éclaircir un mystère. (Je n'ai jamais dit ouvertement ce qu'était ce mystère.) Oui, depuis le jour où j'ai commencer à écrire sérieusement on seul désir a été de me décharger de ce livre que je portais en moi, bien enfoui sous ma ceinture, sous toutes mes latitudes et toutes les longitudes, dans toutes mes douleurs et toutes mes vicissitudes. Arracher ce livre du fond de moi, le rendre chaud, vivant, palpable ... voilà quels étaient mon grand but et ma préoccupation ... Ce magicien barbu qui apparaît au cours d'instants de la vie onirique, caché dans un petit coffre - un rêve de coffre, pourrait-on dire -, qui est-il sinon moi-même, mon moi le plus ancien? Il tient un trousseau de clefs dans les mains, n'est-ce pas?  Et il se trouve au centre clef de tout l'édifice mystérieux. Eh bien alors, qu'est-ce que ce livre manquant, sinon "l'histoire de mon cœur", comme le nomme si magnifiquement Jefferies. Un homme a-t-il une autre histoire à raconter que celle-là?  Et n'est-ce pas la plus difficile de toutes à raconter que celle-là? Et n'est-ce pas la plus difficile de toutes à raconter, celle qui est la plus cachée, la plus abstruse, la plus déroutante?

    Le fait que nous lisions même dans nos rêves est remarquable. Que lisions-nous, que pouvons-nous lire dans les ténèbres de l'inconscient, sinon nos pensées les plus profondes? A aucun instant, les pensées ne cessent d'agiter notre cerveau. Parfois, nous percevons une différence entre les pensées et la pensée, entre ce qui pense et l'esprit qui est toute pensée. Quelquefois nous entr'apercevons, comme par une petite fente, notre double personnalité. Le cerveau n'est pas l'esprit, nous pouvons en être sûrs. S'il était possible de localiser le siège de l'esprit, il serait plus juste de le situer dans le cœur. Mais le coeur est simplement un réceptacle, ou un transformateur, par le truchement duquel la pensée devient reconnaissable et efficace. La pensée doit passer par le cœur pour être rendue active et prendre un sens.

    Henry Miller "Les livres de ma vie"

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    Un ciel pâle, sur le monde qui finit de décrépitude, va peut-être partir avec les nuages : les lambeaux de la pourpre usée des couchants déteignent dans une rivière, dormant à l’horizon submergé de rayons et d’eau. Les arbres s’ennuient et, sous leur feuillage blanchi (de la poussière du temps plutôt que celle des chemins), monte la maison en toile du Montreur de Choses Passées. Maint réverbère attend le crépuscule et ravive les visages d’une malheureuse foule, vaincue par la maladie immortelle et le péché des siècles, d’hommes près de leurs chétives complices, enceintes des fruits misérables avec lesquels périra la terre. Dans le silence inquiet de tous les yeux suppliant là-bas le soleil qui, sous l’eau, s’enfonce avec le désespoir d’un cri, voici le simple boniment : « Nulle enseigne ne vous régale du spectacle intérieur, car il n’est pas maintenant un peintre capable d’en donner une ombre triste. J’apporte, vivante (et préservée à travers les ans par la science souveraine), une Femme d’autrefois. Quelque folie, originelle et naïve, une extase d’or, — je ne sais quoi ! — par elle nommée sa chevelure se ploie avec la grâce des étoffes autour d’un visage qu’éclaire la nudité sanglante de ses lèvres. À la place du vêtement vain, elle a un corps ; et les yeux, — semblables aux pierres rares ! — ne voilent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse : des seins levés comme s’ils étaient pleins d’un lait éternel, la pointe vers le ciel, les jambes lisses qui gardent le sel de la mer première. » Se rappelant leurs pauvres épouses, chauves, morbides et pleines d’horreur, les maris se pressent : elles aussi, par curiosité, mélancoliques, veulent voir.

    Quand tous auront contemplé la noble créature, vestige de quelque époque déjà maudite, les uns indifférents , car ils n’auront pas eu la force de comprendre ; mais d’autres, navrés et la paupière humide de larmes résignées, se regarderont ; tandis que les poètes de ces temps, sentant se rallumer leurs yeux éteints, s’achemineront vers leur lampe, le cerveau ivre un instant d’une gloire confuse, hantés du Rythme, et dans l’oubli d’exister à une époque qui survit à la beauté.

    Stéphane Mallarmé

     

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    Tout ce que l'on nous enseigne est faux. Oui, mais ce n'est pas tout. On nous punit sans relâche et sans merci parce que nous ne croyons pas "leurs" mensonges; on nous humilie, on nous insulte et on nous blesse parce que nous n'acceptons pas "leurs" vils succédanés; on nos met fers et menottes parce que nous luttons pour nous libérer de "leurs" serres qui nous étranglent.Oh, les tragédies qui se jouent quotidiennement dans chaque foyer! Nous supplions qu'on nous laisse voler, et ils nous disent que seuls les anges ont des ailes. Nous supplions qu'on nous laisse nous offrir sur l'autel de la vérité, et ils nous disent que Christ est la vérité, le chemin et la vie. Et si, l'acceptant, nous demandons à le suivre à la lettre et jusqu'à la triste fin, on rit et on se moque de nous. A chaque tournant, on nous accable de confusion nouvelle. Nous ne savons pas où nous sommes ni pourquoi nous devons agir de telle plutôt que de telle autre façon. Pour nous, la question pourquoi demeure à jamais sans réponse. Notre lot c'est d'obéir, non de demander pourquoi. Nous commençons dans les chaînes et nous finissons dans les chaînes. Des pierres en guise de pain, des logarithmes en guise de réponses. Dans notre désespoir, nous nous tournons vers les livres, nous nous confions à des auteurs, nous cherchons refuge dans les rêves.

    Henry Miller "Les livres de ma vie - La plaine d'Abraham"

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    Voilà tout ce que je veux dire.

    Nous sommes dans une situation et à une période dans laquelle nos ne pouvons pas rester et, volontairement ou involontairement, nous sommes obligés de repartir dans une nouvelle voie. Nous n'avons pas besoin d'inventer une nouvelle religion pour la suivre, ou de théories scientifiques pour expliquer la signification de la vie et servir de guide; il serait futile par-dessus tout d'avoir recors à une activité spéciale; il sera suffisant d'adopter cette règle simple : nous libérer du christianisme étatique et faux.

    Que chacun comprenne qu'il n'a pas le droit, ou même la possibilité d'organiser les vies des autres, mais que lui, dans sa propre vie, devrait agir en conformité avec la loi  religieuse suprême qui lui a été révélée, et l'état des choses qui règne parmi les nations soi-disant chrétiennes - un état qui fait souffrir le monde entier, qui correspond si peu aux demandes de nos consciences et qui rend l'humanité  plus malheureuse chaque jour - disparaîtra immédiatement.

    Qui que vous soyez, souverain, juge, propriétaire,travailleur, mendiant, réfléchissez et ayez pitié de vos âmes. Peu importe à quel point votre cerveau est obscurci par votre autorité ou votre richesse, peu importe comment mal vous êtes traité et comment vous êtes irrité par la misère et les humiliations , vous possédez et manifestez comme chacun d'entre nous, l'esprit divin, qui vous demande clairement aujourd'hui : Pourquoi te martyrise-tu toi-même et rends-tu malheureux tous ceux qui sont autour de toi? Comprends qui tu es, juste comment est insignifiant et infaillible ce que tu appelles "moi" - ton toi spirituel - et ayant compris cela, commences à vivre pour accomplir  la mission supérieur de ta vie qui t'a été révélée par la sagesse universelle, par la doctrine du Christ, et par t propre conscience.

    Mettez le bien de votre vie dans la libération progressive de votre esprit, la liberté des illusions de la chair, et dans l'amélioration de votre amour pour vos semblables - ce qui est, après tout, la même chose.  Dès que vous aurez commencé à vivre ainsi, vous aurez conscience  d'une sensation joyeuse  pleine de liberté et de bonheur. Vous serez surpris de voir que les mêmes conditions extérieurs, dont vous étiez si soucieux et qui étaient loin de se réaliser , n'empêcheront pas la venue du plus grand bonheur  possible.

    Et si vous êtes malheureux - Je sais que vous l'êtes - réfléchissez à ce qui vous a été proposé dans ce livre, et que je n'ai pas imaginé moi-même, mais qui est le résultat des pensées et des sentiments des meilleurs esprit et coeur humains, et qui est la seule manière de vous libérer de votre malheur, d'acquérir le plus grand bien que vous puissiez obtenir dans cette vie.

    Voilà ce que je voulais dire à mes frères avant de mourir.

    Léon Tolstoï  "La Loi d'amour et la loi de violence" *

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    Qui parle aujourd'hui du "plus grand bien possible"? Parler aujourd'hui de bonheur et de  bien, c'est suspect. Ils n'ont place ni l'un ni l'autre dans notre image de réalité. Certes, on discute indéfiniment du problème politique, du problème social, du problème moral. On s'agite beaucoup, mais l'on n'accomplit rien de valable. On n’accomplira rien tant que l'on ne considérera pas l'être humain comme un tout et non pas comme un animal tantôt politique, tantôt social et tantôt moral.

    Henry Miller 

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