•  

    "Bien des fois par la suite, j'ai retrouvé cette idée de la "survie" dans les sens les plus divers de ce mot et avec toutes les nuances imaginables, depuis l'instinct de conservation jusqu’à l'antique "affirmation de soi face à la destruction", depuis le désir animal de s'échapper des griffes de l'ennemi jusqu'à l'aspiration sublime de conserver l'ultime liberté de parole. La part animale et la part spirituelle en l'homme ont souvent la même racine. Se raccrocher à un brin d'herbe quand on est au-dessus d'un abîme  ou transmettre le manuscrit de son roman au voyageur qui quitte Moscou pour l'Occident, c'est obéir à une même nécessité."
     
    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova *
    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    J'ai eu l'occasion de fréquenter beaucoup de monde au cours de ma longue vie, et j'ai appris qu'il y a des gens dont on peut faire le tour en une soirée, en une semaine ou en une année, alors qu'il en est d'autres dont on n'arrive jamais à épuiser les richesses. Chez ces derniers il se passe à chaque instant quelque chose: ça bouge, ça travaille, ça remue, ça disparaît pour réapparaître à nouveau. Des rouages se mettent en marche, des ressorts se tendent, des aiguilles oscillent, des barrières s'ouvrent, des feux clignotent et parfois même on a l'impression d'entendre ce qui se déroule dans leur crâne: la chaîne avance, les transmissions sifflent, les moteurs vrombissent. Avec les personnes plus simples, les relations sont également plus simples et se fondent exclusivement sur la sympathie réciproque, ou parfois l'attachement. Des années durant se prolonge une conversation banale qui a débuté un jour, par hasard, et qui ne mène jamais nulle part.

    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Je ne veux pas juger  ma mère, ni mettre au compte de je ne sais quel atavisme limousin (toujours plus puissant qu'on ne croit et qui, avec la vieillesse, reprend ses droits avec une vigueur inattendue) le sacrifice qu'elle semblait faire d'un avenir auquel j’étais d'ailleurs indifférent, ne me sentant de vocation pour aucun métier, garçon vacher, commis, ou même hôtelier. Quant à l'enseignement, à quoi semblait me condamner mon goût pour la littérature, pour rien au monde ma mère n'aurait accepté de me voir devenir ce que ma grande-mère appelait un "mauvais professeur", devinant, après les événements de mai 1968 qui marqueraient, on ne tarderait pas à le voir, le fin de l'ère humaniste, que ce métier était appelé à devenir un emploi de plus en plus féminin, donc socialement dévalorisé, le havre de ceux qui ne pouvaient rien faire de mieux, le refuge des esprits faibles de formation classique, selon Huxley, cité par ma mère, qui ajoutait que la société contemporaine n'avait de toute façon plus rien à transmettre, et surtout pas la langue qui avait été la clef de voûte d'une civilisation, non seulement parce qu'il est difficile, sinon impossible, de faire aimer ce qui est mort, par exemple la société rurale dont une personne comme ma mère avait tout fait pour sortir, par exemple, mais parce que c'est l'Europe elle-même qui était entrée dans le temps de l'épilogue - l'Europe blanche et chrétienne, précisait-elle sans porter là aucun jugement de valeur, lucide autant que fataliste, ayant compris qu'on ne saurait prendre l'Histoire à rebours, encore moins restaurer ou maintenir ce dont la majorité des gens, par ignorance ou fatalisme, ne veulent plus. 

    "Ma vie parmi les ombres" Richard Millet

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Des images d'elle venaient ainsi me frapper l'une après l'autre comme des vagues, me faisant dériver vers des lieux étranges.Là, je vivais avec les morts. Là vivait Naoko, et je pouvais lui parler, je pouvais la prendre dans mes bras. Là, la mort n'était pas un élément qui mettait un point final à la vie. Là, la mort n'était qu'un élément parmi d'autres qui composaient la vie. Naoko y continuait sa vie qui comprenait la mort. Et elle me disait : Ne t'en fais pas, Watanabe, ce n'est rien d'autre que la mort. N'y fais pas attention.
    Là, je ne ressentais aucune tristesse. C'était parce que la mort était la mort, et Naoko, Naoko. Tu vois, ne t'inquiète pas, je suis là, n'est-ce pas? me disait-elle avec un rire timide. Un de ses petits gestes familiers me réconfortait, calmait ma douleur. Alors, je me mis à penser que si c'était cela la mort, ce n'était pas si mal. Mais oui, tu vois, ce n'est pas si grave de mourir, me disait Naoko. L mort, c'est bêtement la mort, sans plus. Et ici, je suis vraiment bien, tu sais. Ainsi  me parvenait sa voix d'entre les vagues.
    Mais bientôt la marée se retirait et je restais seul sur le sable. J'étais sans énergie, incapable d'aller nulle part, et la tristesse m'enveloppait comme les ténèbres. Dans ces moments-là je pleurait tout seul. Mais je ne pleurais pas vraiment. Les larmes roulaient sur mes joues comme des gouttes de sueur. *
    Quand Kizuki était mort, j'avais appris quelque chose. Et j'étais résigné. Ou du moins je le croyais. J'avais découvert que la mort n'était pas à l'opposé de la vie, mais en faisait partie.
    C'est vrai. Vivre fait que nous créons en même temps la mort. Mais ce n'était qu'une partie de la vérité. La mort de Naoko m'apprenait autre chose. Quelle que soit notre vérité, la tristesse d'avoir perdu quelqu'un qu'on aime est inconsolable. La vérité, la sincérité, la force, la douceur, rien ne peut calmer la douleur, et, en allant au bout de cette souffrance, on apprend quelque chose qui ne nous est d'aucune utilité pour la prochaine vague de tristesse qui nous surprendra. Je réfléchissais à cela quotidiennement, au cours de mes nuits solitaires, en écoutant le bruit des vagues et du vent. Je m'obstinais à marcher vers l'ouest sur le rivage, en ce début d'automne, avec mon sac sur le dos et les cheveux pleins de sable, buvant l'eau de la gourde, mangent du pain sec, et vidant plusieurs bouteilles de whisky.

    "La ballade de l'impossible" Haruki Murakami *

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Nous sommes tous différents et inégaux en esprit. Ce ne sont que les différences sociales qui sont basées sur les conditions accidentelles et matérielles. Nous sommes tous théoriquement ou mathématiquement égaux, si vous voulez. Chaque homme connaît la faim et la soif, il a deux yeux, un nez et deux jambes. Numériquement nous sommes tous les mêmes. Mais spirituellement règne la pure différence et on ne peut parler ni d'égalité, ni d'inégalité. C'est sur ces deux bribes de connaissance que vous devez fonder un État. Votre démocratie est un parfait mensonge, votre fraternité humaine une pure et simple fausseté, si vous l'appliquez plus loin que l'abstraction mathématique. Nous avons tous de la viande et du pain, nous voulons tous rouler en automobile, voilà le commencement et la fin de la fraternité humaine. Mais pas d'égalité.
    " Moi même, qui suis bien moi-même, qu'est-ce que j'ai à faire avec l'égalité, avec un autre homme ou une autre femme ? En esprit, je suis aussi isolé qu'une étoile l'est d'une autre étoile, aussi distinct en qualité et en quantité. Allez donc fonder un État là-dessus ! Un homme n'est en rien meilleur qu'un autre, non parce qu'ils sont égaux, mais parce qu'ils sont essentiellement différents et qu'il n'y a entre eux aucun terme de comparaison. Dès l'instant que vous commencez à faire des comparaisons, qu'un individu semble de beaucoup meilleur qu'un autre, toute l'inégalité apparaît. Je désire que chacun ait sa part des biens à ce monde, de façon que je sois débarrassé de cet importun et que je puisse lui dire : 'Maintenant, tu as ce que tu désires, tu as pris ta bonne part des biens de ce monde, maintenant, ô fou qui n'as qu'une bouche, occupe-toi de toi-même et ne m'embarrasse pas.' "

    "Love/Femme amoureuse" D.H.Lawrence

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique