•  

    J’avais trahi parce que j’avais peur d’être trahi à mon tour. Cette peur du lien, cette peur de sentiments trop intenses pour pouvoir être contrôlés, m’avait toujours poussé à réagir d’une seule façon : l’esquive, la fuite. Pourquoi ? Je n’aurais pas su répondre à cette question. Mais je savais que je n’étais pas le seul. Je vivais dans un monde où beaucoup d’hommes passaient leur vie à avoir peur de la même façon que moi.

    "Les chaussures italiennes" Henning Mankell

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Les grands esprits n'ouvrent pas de cabinet, n'ont pas de tarif, ne font pas de conférences, n'écrivent pas de livres. L sagesse se tait; le moyen le plus efficace de propager la vérité, c'est à force d'exemple personnel. Les grands esprits attirent les disciples, personnages mineurs qui ont pour mission de prêcher et d'enseigner. Ce sont les évangélistes qui, n'étant pas à la hauteur de la sublimes tâche, passent leur vie à convertir les autres. Les grands esprits sont indifférents au sens profond du terme. Ils ne nous demandent pas de croire: ils électrisent pas leur conduite. Ce sont les réveilleurs. Ce que nous pouvons faire de notre méchante petite vie, ne les regarde pas. Ce que vous pouvez faire de votre vie ne regarde que vous, semblent-ils dire. Bref, ils n'ont d'autre objet ici-bas que d'inspirer. Et que peut-on demande de plus à un être humain?

    "Sexus" Henry Miller

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Le jour de mon départ, le maître m'accompagna jusqu'à la croisée des chemins. Il s'arrêta et dit : " Ce que je pouvais te donner de mieux, je te l'ai donné. A partir de maintenant, suis la Voie, la tienne, et oublie-moi. Ne prends pas la peine de m'écrire. De tout façon, je ne répondrai pas. Je m'en irai d'ailleurs bientôt." Ces paroles, dures à entendre, furent dites non sur un ton sévère, mais avec une douceur paisible dont tout son visage était illuminé, un visage comme transfiguré. Puis le vieillard se retourna et s'en alla en direction de son ermitage. Sa robe flottait au vent, et son pas était léger.

    "Le Dit de Tianyi"  François Cheng

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    L’existence m'a appris que même lorsque, en apparence, rien ne se passe, les choses ne sont jamais vraiment figées. Le monde est en devenir perpétuel et il est vain de vouloir retenir quoi que ce soit, même au-dedans de nous. Entre l'aube et le crépuscule, les hommes ne cessent d'évoluer. Des processus mystérieux sont constamment à l'oeuvre, faisant surgir de nouvelles mutations et des circuits inédits. Je sais aujourd'hui ce que j'ignorais alors, qu'il m'est impossible, sous peine de me mutiler, de passer ma vie entière avec un seul être, de le placer pour toujours au centre du monde et de n'appartenir qu'à lui. Je ne suis pas un roc, mais un fleuve. Ceux qui pensent que je suis un roc se méprennent sur moi, à moins que je ne les trompe en faisant semblant de l'être.
    Par mon inconstance, telle qu'elle m'apparaît à travers ma vie et celle de mes contemporains, je ressemble à l'immense majorité des être vivants. Tout le monde n'éprouve pas le besoin de la reconnaître, ni même de se l'avouer : les uns estiment qu'on ne peut de toute façon rien y changer et qu'il faut donc en prendre son parti; d'autres sont submergés par un sentiment de culpabilité et n'ont pas la force de lutter; d’autres encore croient pouvoir attendre tant bien que mal une occasion favorable, dans l'espoir que tout finira par s’arranger; d'autres aussi espèrent qu'ils changeront avec le temps, se fatigueront et accepteront le statu quo; d’outres enfin pensent qu'il ne peut en être autrement et que cette instabilité est inhérente à la vie.

    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Regarde au fond de la nuit noire et tu n’y verras que tes rêves. Solitude des maisons fermées. Que font ces âmes dans la nuit ? Désordre immense au fond des eaux calmes, suprême désordre des sommeils ; de ce canton étiqueté sans vie dans le dictionnaire Larousse.
    Une petite fille, les yeux ouverts, regardant au plafond de sa chambre, écoute un air venu de loin qui perce la nuit ; une mère, devant sa glace, délace son corset sévère et regarde venir à elle, du fond de la nuit des miroirs, cette forme rose et nue qui représente une femme oubliée dans la torpeur d’un mariage sans joie ; deux flûtes presque imperceptibles, au cœur des montagnes lointaines, tissent le destin dans leur navette. Les rêves passent au fond des ténèbres, les rêves défilent au fond des eaux comme des poissons maléfiques, brillants, que nos mains effarouchent, que nos torpeurs rendent hardis.
    La nuit descend, avec ses fards et ses opiums, et révèle l’envers du monde. Le Larousse n’a jamais rien su.
    Le jour brise comme la foudre ceux qui ont pris la nuit pour patrie. La nuit, patrie internationale, qui ne souffre pas de trahison ; océan pur d’où le poisson ne peut sortir sans en mourir ; le soleil foudroie les nocturnes, les mythiques. On dit qu’il existe, au fond des profondeurs abyssales, des poissons merveilleux ; s’ils remontent vers le soleil, trompés et séduits par l’ombre d’un navire, ils éclatent comme des bombes et rien ne reste de leurs entrailles dispersées.
    La petite maison s’endort dans les profondeurs abyssales, protégée par la haute pression des délires et de la nuit. Et la flûte, qui vient du jour, fait passer l’ombre du navire.

     

    "Salome"  Alexandre Vialatte

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique