• "Les plus riches ont décidé de nous faire une guerre(...)Je fréquente des riches à Paris et leur indifférence est totale. Si tu leur dis qu’en Espagne, à 60 ans, on peut être obligé de travailler pour 2,60€ de l’heure, ils s’en foutent. Tu te rends compte qu’ils sont déjà prêts pour ce monde là. Dans leur tête c’est réglé : pour les pauvres, ça va être très dur, et ils s’en tamponnent.(...) On vivra entre riches dans des mini bulles bunkers. Tant pis pour les crevards. J’ai eu longtemps l’impression que les riches ne se rendaient pas compte, mais là je pense que c’est pire : c’est concerté, c’est ce qu’ils veulent, que les gens s’enfoncent dans une misère noire. Ils ne voient pas le travailleur comme un être humain mais comme un problème à gérer. "


    Virginie Despentes *

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  • J’aime beaucoup la vie modeste et solitaire de ces propriétaires campagnards qu’on a l’habitude d’appeler en Petite-Russie les gens d’autrefois (starosvetskie); ils sont semblables à ces vieilles maisonnettes pittoresques qui vous plaisent par leur simplicité et par le contraste qu’elles présentent avec les constructions modernes, propres, élégantes, dont les murs ne portent pas encore les traces de la pluie, dont les toits ne sont pas encore couverts de mousse verdâtre, et dont le perron, nouvellement badigeonné, ne laisse pas encore voir ses briques rouges. J’aime à descendre quelquefois, pour un instant, dans la sphère de cette vie si calme et si paisible, où jamais un vœu n’a franchi la haie qui enferme la petite cour et le verger entouré de chaumières en bois, penchées sur le flanc , et perdues dans un fouillis de saules, de sureaux et de poiriers. La vie de leurs habitants est  si tranquille qu’on s’oublie avec eux, pour un instant, et qu’on est prêt à penser que les passions, les vains désirs, tous les enfants du malin esprit qui troublent le monde, n’existent point, et qu’ils ne vous sont apparus que dans un songe pénible et agité. Je vois d’ici la petite maison, entourée d’une galerie que soutiennent de minces colonnettes en bois noirci, et qui fait le tour entier du bâtiment, afin qu’on puisse, pendant l’orage, fermer les volets des fenêtres sans être mouillé par la pluie ; derrière la maison, des mûriers en fleur, puis de longues rangées de petits arbres fruitiers noyés dans le vif écarlate des cerises et dans une mer bleuâtre de prunes au duvet plombé ; puis un large et vieux hêtre, sous l’ombre duquel est étendu un tapis pour le repos ; devant la maison, une cour spacieuse avec une herbe courte et verdoyante, avec deux petits sentiers qui conduisent de la grange à la cuisine, et de la cuisine au logis du seigneur ; une oie au long cou, qui boit de l’eau dans une flaque, entourée de ses oisillons, d’un jaune tendre et soyeux ; une longue baie, à laquelle pendent des liasses de poires et de pommes séchées, et des tapis mis à l’air ; un chariot chargé de melons, près de la grange ; à côté, un bœuf dételé et ruminant, paresseusement couché. Tout cela a pour moi un charme inexprimable ; peut-être parce que je n’en aurai plus jamais le spectacle, et  que toute chose dont nous sommes séparés nous est chère. Par quelque raison que ce fût, dès que ma briska s’approchait du perron de cette maisonnette, mon âme éprouvait un délicieux sentiment de calme et de bien-être. Les chevaux arrivaient gaiement devant la porte, où ils s’arrêtaient d’eux-mêmes ; le cocher descendait lentement du siège, et se mettait à bourrer sa pipe, comme s’il eût été devant sa propre maison. Même l’aboiement flegmatique des chiens de la basse-cour avait quelque chose d’amical et de bienveillant. Mais ce qui me plaisait le plus dans ces modestes réduits, c’étaient leurs propriétaires, de bonnes vieilles gens qui s’empressaient avec tant de cordialité à la rencontre de leurs hôtes. Leurs bonnes figures se représentent quelquefois à mon esprit, même au milieu du bruit du monde ; et une douce rêverie me saisit, et je me rappelle mon passé. Il y a tant de bonté, de franchise, de bienveillance sur leur visage, qu’on renonce avec joie, au moins pour quelques instants, à toute pensée téméraire, et qu’on passe insensiblement tout entier dans cette humble vie champêtre.

    Je ne puis oublier deux vieillards du siècle passé ; ils ne sont plus au monde à présent ; mais mon âme se remplit d’une tristesse pieuse en pensant que j’irai quelque jour dans leur habitation maintenant déserte, que je trouverai la maison à  demi ruinée, le jardin abandonné et l’étang changé en marécage. Oui, je suis triste seulement d’y penser.

    Nouvelles choisies de Nocolas Gogol (extrait 1) *

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    Pfuit, des bombes… Oui, je suis capable d’en poser, même à mon âge, je ne plaisante pas. Ces sociétés sont extrêmement monstrueuses : les uns crèvent de faim au nez des autres. Ce sont des pourrissoirs, menés par des maniaques du pouvoir que je ne supporte pas. Je ne sais pas pourquoi je me mets en colère, ça ne sert à rien. Je vais publier un livre sur ce que j’ai à dire de la politique. Ce n’est même pas de la politique, c’est un état de fonction où tout est organisé en castes, des castes qui ne se touchent pas entre elles. À l’intérieur d’une caste, on ne se touche pas. Moi, je suis hors caste depuis toujours. Et je tiens à le rester jusqu’à ma mort. Grâce à Dieu, j’ai pu faire un petit bout de chemin, il est ce qu’il est mais je l’ai fait comme je le voulais, seul, sans demander ni rien devoir. Ce qui me permet de juger comme je l’entends, avec en général assez de raison. Nous en sommes arrivés à une société complètement aplatie. Tout le monde s’en contente… Aplatissons-nous. »

     
    Louis Calaferte *


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    Qui suis-je ? Qui étais-je ? Je ne trouverai jamais ma nuit. C’est moi que je prie, c’est moi qui m’exauce. Dieu dans sa haine nous a tous laissés libres. Mais il nous a donné la soif pour que nous l’aimions. Je ne puis lui pardonner la soif. Mon cœur est vierge, rien de ce que je conquiers ne me possède ! On ne connaîtra jamais de moi-même que ma soif délirante de connaître. Je ne suis que curieux. Je scrute. J’explore. La curiosité c’est la haine. Une haine plus pure, plus désintéressée que toute science et qui presse les autres de plus de soins que l’amour – mais qui les détaille, les décompose. Me suis-je donc tant appliqué à te connaître, Anne, ai-je passé tant de nuits à te rêver, placé tant d’espoir à percer ton secret indéchiffrable, et poussé jusqu’à cette nuit tant de soupirs, subi tant de peines, pour découvrir que mon étrange amour n’était qu’une façon d’approcher la mort ?

    "La Côte sauvage"  Jean-René Huguenin *

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    J'ai vu des femmes ...

     

    J’ai vu des femmes sans beauté devenir presque jolies, du moins radieuses, au début de leur amour, fut-il désespéré, encore que le bonheur leur prêtât quelque chose de stupide, et que l’espèce de beauté qu’on peut leur trouver à ce moment ressemblât surtout à la paix rayonnante que donne au visage la satisfaction sexuelle qui délivre le visage de toute tension ou angoisse, et fait qu’on peut, à la terrasse d’un café, s’amuser à repérer dans la rue les femmes qui sortent des bras de leur amant, à la fin de l’après-midi, avec, pour quelques-uns, serrée dans leur ventre, comme le témoignage de leur amour, la semence de l’amant, certaines m’ayant dit n’éprouver pas de plus grand délice que de la sentir couler d’elles, peu à peu, dans la rue, au moment où elles sentent sur elles tant de regards inconnus.

    "Le goût des femmes laides"  Richard Millet *

    A propos du livre, résumé : 
    " On m'avait assez répété que j'étais laid : il me fallait le devenir, et j'avais, à quinze ans, assez de jugeote pour deviner que tout se jouerait dans le domaine amoureux, à tout le moins sexuel, puisque, je le savais déjà, j'étais de ceux à qui l'amour est refusé, et qui, par conséquent, doivent séparer ce sentiment du désir qui en est la dimension incendiaire, et consolatrice." À travers la confession déroutante d'un homme qui, dès l'enfance, a grandi persuadé que sa mère le trouvait laid, Richard Millet cerne au plus près les tourments de la dissonance et de la solitude, et livre, dans une langue superbe, une singulière éducation sentimentale.

     

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