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    L'arbres

    - Tu veux une cerise, Jean?
    - Ah oui, merci. Mh... un peu surette mais elle est bonne. Tu te promènes avec des cerises, toi?
    - Ben non. J'en ai ramassé plusieurs qui viennent de tomber du cerisier.
    D'un coup d'oeil circulaire, je contemple autour de nous deux le chaud paysage d'été sans aucun arbre: "Quel cerisier?"
    - Ben, celui sous lequel on est assis à l'ombre.
    Je lève la tête: "Ce n'est pas un cerisier. Regarde, ses feuillets en aiguilles vert foncé sont celles d'un gros conifère."
    - Oui, un if datant du XIII siècle.
    - Donc une variante de conifères?
    - Oui, mais il y a un cerisier dedans.
    Incrédule, je me lève et cherche, sous les larges jupes sombres de l'if, l'arbre fruitier dissimulé à l'intérieur sous le haut qui dépasse en quête de lumière.
    Devant l'église de Saint-Launeuc, un véritable conifère (donc âgé de huit siècles) héberge et nourrit un cerisier sauvage - merisier - dont les racines, à la base de son tronc situé à deux mètres cinquante du sol, n'ont jamais touché la terre. Les deux ne forment plus qu'un seul arbre.
    - Tu veux une autre cerise, Jean?

    "Comme une respiration" Jean Teulé

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    Nous suivions un sentier étroit sur lequel rampaient en tout sens de petits serpents rouges qui se tortillaient sous nos pieds. Le silence qui régnait alentour engendrait une somnolence rêveuse. À notre suite se mouvaient lentement de noirs troupeaux de nuages. Se fondant ensemble, ils eurent bientôt couvert tout le ciel derrière nous, alors que, devant, il restait dégagé. Mais déjà des lambeaux de nuages nous dépassaient en fuyant vivement vers l'horizon. Quelque part au loin le tonnerre grondait, sa rumeur bougonne se faisait de plus en plus proche. Il tombait des gouttes. L'herbe fut parcourue d'un frou-frou de métal.
    Aucun abri ne s'offrait. Soudain tout s'assombrit et le bruissement de l'herbe devint plus sonore, comme apeuré. Le tonnerre gronda, les nuées frissonnèrent, parcourues d'une flamme bleue… Une pluie drue se mit à tomber à torrents, et les coups de tonnerre commencèrent à se succéder sans interruption sur la steppe déserte. L'herbe ployée par les bourrasques de vent et de pluie se couchait à terre. Tout tremblait, remuait. Des éclairs aveuglants déchiraient les nues. Dans leur éclat bleuté apparaissait au loin la chaîne de montagnes, argentée et froide, où étincelaient des feux d'un bleu plus foncé ; quand les éclairs s'éteignaient, elle s'évanouissait, comme engloutie par l'abîme de ténèbres. Tout grondait, frissonnait, répercutait les sons et les suscitait. C'était comme si le ciel, trouble et courroucé, se purifiait par le feu de la poussière et de toutes les immondices qui lui étaient venues de la terre. Et la terre semblait trembler d'effroi devant sa colère.
    Chakro grognait comme un chien apeuré. Moi, en revanche, j'étais en joie : devant ce tableau sombre et puissant d'un orage dans la steppe je me sentais soulevé au-dessus de l'ordinaire. Ce merveilleux chaos m'exaltait, m'empoignait l'âme de sa terrible harmonie et l'accordait à un mode héroïque.
    L'envie me prit alors de participer à la symphonie, d'exprimer à ma façon la jubilation qui débordait de mon âme à la vue de cette puissance. La flamme bleue qui embrasait le ciel me sembla brûler aussi dans ma poitrine : comment manifester mon émoi sublime et mon enthousiasme ? Je me mis à chanter, à pleine voix, de toutes mes forces. Le tonnerre rugissait, les éclairs étincelaient, l'herbe chuintait, et moi, je chantais, je me sentais en étroite communion avec tous les sons… J'avais perdu l'esprit, mais c'était pardonnable, car je ne faisais de tort à personne qu'à moi-même. La tempête sur la mer et l'orage sur la steppe ! Je ne connais pas de phénomènes plus grandioses dans la nature.
     
    "Mon Compagnon"  Maxime Gorki
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    Un océan entier d'êtres humains, hommes, femmes et enfants, roulait devant nous ses flots disgracieux et malpropres. Presque tous se taisaient. [...] La vie de tous les jours emportait encore ces gens-là. Pourquoi, pour quelle sensation étaient-ils sortis des rails de leur existence ? Il est terrible de penser à ce qui se cachait là-dessous. [...]
    Pendant la route, nous discutâmes, Du Camp et moi. [...] Nous parlions de la barbarie inepte et superflue de toute cette procédure du Moyen Âge, grâce à laquelle l'agonie d'un criminel dure trente minutes, de six heures vingt-huit à sept heures... du dégoût de tous ces travestissements, de cette coupe de cheveux, des voyages par les escaliers et les corridors...
    De quel droit fait-on tout cela ? Comment soutenir cette routine révoltante ? La peine de mort elle-même pouvait-elle être justifiée ?
    Nous avons vu quelle impression produit ce spectacle sur le peuple ; l'édification de ce spectacle n'existe pas du tout. À peine le millième de la foule, pas plus de cinquante à soixante personnes, a-t-il pu, dans le crépuscule de cette heure matinale, à une distance de plus de cinquante pas, voir quelque chose à travers les lignes de soldats et les croupes des cheveux. Et les autres ? Quelle utilité, si minime qu'elle soit, ont-ils pu tirer de cette nuit d'insomnie et d'ivresse, de fainéantise et de perversion ?
    Je me rappelai le jeune blousard qui criait niaisement et dont j'observai la figure pendant quelques minutes. Se remettra-t-il aujourd'hui au travail en homme qui hait plus qu'avant la fainéantise et le vice ?
    Moi-même, quel profit ai-je tiré ? Un sentiment d'admiration involontaire pour l'assassin, le monstre moral qui a pu faire preuve de mépris pour la mort. Est-ce que le législateur peut désirer des impressions pareilles ? De quel " but moral " peut-on encore parler après tant de démentis donnés par l'expérience ? [...]
    Je serais content et je me pardonnerais à moi-même une curiosité mal placée, si mon récit donnait quelques arguments aux défenseurs de l'abolition de la peine de mort, ou du moins à l'abolition de sa publicité.

    Ivan Tourgueniev

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    Tout a débuté il y a huit mois. Je venais de vivre un chagrin d'amour si bête qu'il vaut mieux ne pas en parler. A ma souffrance s'ajoutait la honte de ma souffrance. Pour m'interdire une telle douleur, je m'arrachai le cœur. L'opération fut facile mais peu efficace. Le siège de la peine restait, qui logeait partout, sous et sur ma peau, dans mes yeux, mes oreilles.Mes sens étaient mes ennemis qui ne cessaient de me rappeler cette stupide histoire.
    Je décidai alors de tuer mes sensations. Il me suffit de trouver le commutateur intérieur et de basculer dans le monde du ni-chauds-ni-froids. Ce fut un suicide sensoriel, le commencement d'une nouvelle existence.
    Dès lors, je n'eus plus mal. Je n'eus plus rien. La chape de plomb qui bloquait ma respiration disparut. Le reste aussi. J'habitais une sorte de néant.
    Passé le soulagement, je me mis à m'ennuyer ferme. Je songeai à rebasculer le commutateur intérieur et m'aperçus que ce n'était pas possible. Je m'en inquiétai.

    Les musiques qui m'émouvaient auparavant ne provoquaient plus rien en moi, même les sensations de base, comme manger, boire, prendre un bain, me laissaient de marbre. J'étais châtré de partout.
    La disparition des sentiments ne me pesa pas. La voix de ma mère, au téléphone, n'était plus qu'un embêtement évoquant une fuite d'eau. Je cessai de m'inquiéter pour elle. C'était plutôt bien.
    Pour le reste, ça ne m'allait pas. La vie était devenue la mort.

    "Journal d'hirondelle"  Amélie Nothomb *

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    « Chaque fois que j’entends un homme dire, “Elle est trop, trop sauvage, trop difficile à comprendre, trop compliquée, trop difficile à maîtriser, trop émotionnelle, trop dogmatique, ou folle”, j’entends en fait “J’aurais brûlé son cul sur les bûchers de Salem. Elle est trop connectée à la Déesse. Je ne pourrai pas la dompter. Je ne la comprendrai pas. Je ne pourrai pas la garder. Elle n’aura pas besoin de moi. Elle est trop puissante et n’aimera pas les parties blessées de mon être”

    Au contraire, elle verra les parties de toi qui t’effraient et les aimera malgré tout. Une femme libérée t’aimera sans avoir jamais besoin de te changer. Elle se connectera à toi à un niveau primaire, aura besoin de ton corps quand elle se laissera consumer par son propre feu intérieur. Sa passion te fera capituler alors même que tu la verras bouleverser tout ton monde. En tant qu’amante, elle ne fera pas seulement l’amour à ton corps et à ton cœur, mais aussi à ton âme. Tu te demanderas comment c’était de vivre avant de la rencontrer. Elle t’irritera, et si tu réponds, ça sera encore pire.

    Quand vous vous réconcilierez, tu réaliseras à quel point tu te sentais mourir en imaginant la vie sans elle, mais elle t’a enseigné ta force et comment ta vulnérabilité te rend courageux. Elle t’a fait comprendre que tu peux survivre à tout, même à la perdre, car elle t’a appris à croire en toi-même. Elle exigera encore plus de toi, et tu seras heureux qu’elle ait su que tu avais cela en toi depuis toujours.

    Elle t’aimera violemment et t’enseignera de la même façon. De même, elle te nourrira et t’atteindra à un point qui te rendra inconfortable. Elle aimera le petit garçon craintif en toi, celui dont tu redoutes l’existence, et en le reconnaissant elle te fera sentir que ton vieux toi est mort, celui qui vivait dans le mensonge. La partie de toi qui ne se trouve pas assez bien émergera pour guérir, et elle verra à travers ta façade. Elle appuiera sur les boutons et te fera rentrer encore plus en toi-même. Elle te fera te poser des questions, te fera grandir et apprendre bien plus que tu ne le pensais possible. Elle te mettra au défi et ne sera jamais ennuyeuse.
    Elle t’excitera et t’exaspérera avec son audace qui la fait être complètement elle-même, et pas seulement des bouts d’elle-même. Elle aura beaucoup de sentiments et tu ne sauras pas quoi faire, mais pas une seule fois tu n’oseras penser à la quitter car tu es étranger à la tragédie.

    Ses larmes t’effraieront et tu voudras la réparer, réparer ses problèmes, réparer le monde pour elle. Elle te rassurera en t’expliquant que c’est un moyen de s’exprimer et que cela n’est pas un signe de faiblesse, que tu peux pleurer quand tu es en colère, content, triste, ou sans raison du tout. Que les larmes sont comme un élixir pour l’âme, un catalyseur du lâcher prise, un signe de changement d’énergie.
    Ce sera une chevauchée sauvage, une aventure qui te mènera au bord de toi-même. Avec cette relation, tu voudras assurer ton amour pour toujours, mais tu sauras que tu ne peux pas posséder une femme libérée, tu ne peux que l’aimer. Aime une sauvage. Laisse la t’ensorceler, t’enivrer, te stupéfier, te séduire, t’hypnotiser, t’enchanter et laisse la te libérer. »

     Jenny Perry

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