• Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,
    Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
    Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
    Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
    Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?
    Je voulais me briser le front sur le pavé ;
    Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,
    Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
    Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non ! --
    Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
    Qui font que dans le coeur le désespoir se lève ? --
    Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,
    Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
    Que je l'entendais rire en la chambre à côté,
    Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
    Et que j'allais la voir entrer par cette porte !

    Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
    Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
    Attendez! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !
    Car elle est quelque part dans la maison sans doute !

     

    Victor HUGO 1802 - 1885 *

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  • Colloque sentimental et le dernier poème des Fêtes Galantes

    Dans le vieux parc solitaire et glacé,
    Deux formes ont tout à l'heure passé.

    Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
    Et l'on entend à peine leurs paroles.

    Dans le vieux parc solitaire et glacé,
    Deux spectres ont évoqué le passé.

    - Te souvient-il de notre extase ancienne ?
    - Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?

    - Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
    Toujours vois-tu mon âme en rêve ?

    - Non. - Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
    Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

    - Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
    - L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

    Tels ils marchaient dans les avoines folles,
    Et la nuit seule entendit leurs paroles.

     

    Paul Verlaine

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  • Va, mon âme, au-dessus de la foule qui passe,
    Ainsi qu'un libre oiseau te baigner dans l'espace.
    Va voir ! et ne reviens qu'après avoir touché
    Le rêve... mon beau rêve à la terre caché.

    Moi, je veux du silence, il y va de ma vie ;
    Et je m'enferme où rien, plus rien ne m'a suivie ;
    Et de son nid étroit d'où nul sanglot ne sort,
    J'entends courir le siècle à côté de mon sort.

    Le siècle qui s'enfuit grondant devant nos portes,
    Entraînant dans son cours, comme des algues mortes,
    Les noms ensanglantés, les voeux, les vains serments,
    Les bouquets purs, noués de noms doux et charmants.

    Va, mon âne, au-dessus de la foule qui passe,
    Ainsi qu'un libre oiseau te baigner dans l'espace.
    Va voir ! et ne reviens qu'après avoir touché
    Le rêve... mon beau rêve à la terre caché !

     

    Marceline DESBORDES-VALMORE (1786 - 1859)

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  • Apologue

    Las des fleurs, épuisé de ses longues amours,
    Un papillon dans sa vieillesse
    (Il avait du printemps goûté les plus beaux jours)
    Voyait d'un oeil chagrin la tendre hardiesse
    Des amants nouveau-nés, dont le rapide essor
    Effleurait les boutons qu'humectait la rosée.
    Soulevant un matin le débile ressort
    De son aile à demi-brisée :

    " Tout a changé, dit-il, tout se fane. Autrefois
    L'univers n'avait point cet aspect qui m'afflige.
    Oui, la nature se néglige ;
    Aussi pour la chanter l'oiseau n'a plus de voix.
    Les papillons passés avaient bien plus de charmes !
    Toutes les fleurs tombaient sous nos brûlantes armes !
    Touchés par le soleil, nos légers vêtements
    Semblaient brodés de diamants !
    Je ne vois plus rien sur la terre
    Qui ressemble à mon beau matin !
    J'ai froid. Tout, jusqu'aux fleurs, prend une teinte austère,
    Et je n'ai plus de goût aux restes du festin !
    Ce gazon si charmant, ce duvet des prairies,
    Où mon vol fatigué descendait vers le soir,
    Où Chloé, qui n'est plus, vint chanter et s'asseoir,
    N'offre plus qu'un vert pâle et des couleurs flétries !
    L'air me soutient à peine à travers les brouillards
    Qui voilent le soleil de mes longues journées ;
    Mes heures, sans amour, se changent en années :
    Hélas ! Que je plains les vieillards !

    " Je voudrais, cependant, que mon expérience
    Servît à tous ces fils de l'air.
    Sous des bosquets flétris j'ai puisé ma science,
    J'ai défini la vie, enfants : c'est un éclair !
    Frêles triomphateurs, vos ailes intrépides
    S'arrêteront un jour avec étonnement :
    Plus de larcins alors, plus de baisers avides ;
    Les roses subiront un affreux changement.

    " Je croyais comme vous qu'une flamme immortelle
    Coulait dans les parfums créés pour me nourrir,
    Qu'une fleur était toujours belle,
    Et que rien ne devait mourir.
    Mais le temps m'a parlé ; sa sévère éloquence
    A détendu mon vol et glacé mes penchants :
    Le coteau me fatigue et je me traîne aux champs ;
    Enfin, je vois la mort où votre inconséquence
    Poursuit la volupté. Je n'ai plus de désir,
    Car on dit que l'amour est un bonheur coupable :
    Hélas ! D'y succomber je ne suis plus capable,
    Et je suis tout honteux d'avoir eu du plaisir. "

    Près du sybarite invalide,
    Un papillon naissait dans toute sa beauté :
    Cette plainte l'étonne ; il rêve, il est tenté
    De rentrer dans sa chrysalide.

    " Quoi ! Dit-il, ce ciel pur, ce soleil généreux,
    Qui me transforme et qui me fait éclore,
    Mon berceau transparent qu'il chauffe et qu'il colore,
    Tous ces biens me rendront coupable et malheureux !
    Mais un instinct si doux m'attire dans la vie !
    Un souffle si puissant m'appelle autour des fleurs !
    Là-bas, ces coteaux verts, ces brillantes couleurs
    Font naître tant d'espoir, tant d'amour, tant d'envie !
    Oh ! Tais-toi, pauvre sage, ou pauvre ingrat, tais-toi !
    Tu nous défends les fleurs encor penché sur elles.
    Dors, si tu n'aimes plus ; mais les cieux sont à moi :
    J'éclos pour m'envoler, et je risque mes ailes ! "

     

    Marceline DESBORDES-VALMORE *

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  • Vous demandez si l'amour rend heureuse ;
    Il le promet, croyez-le, fût-ce un jour.
    Ah ! pour un jour d'existence amoureuse,
    Qui ne mourrait ? la vie est dans l'amour.

    Quand je vivais tendre et craintive amante,
    Avec ses feux je peignais ses douleurs :
    Sur son portrait j'ai versé tant de pleurs,
    Que cette image en paraît moins charmante.

    Si le sourire, éclair inattendu,
    Brille parfois au milieu de mes larmes,
    C'était l'amour ; c'était lui, mais sans armes ;
    C'était le ciel... qu'avec lui j'ai perdu.

    Sans lui, le coeur est un foyer sans flamme ;
    Il brûle tout, ce doux empoisonneur.
    J'ai dit bien vrai comme il déchire une âme :
    Demandez-donc s'il donne le bonheur !

    Vous le saurez : oui, quoi qu'il en puisse être,
    De gré, de force, amour sera le maître ;
    Et, dans sa fièvre alors lente à guérir,
    vous souffrirez, ou vous ferez souffrir.

    Dès qu'on l'a vu, son absence est affreuse ;
    Dès qu'il revient, on tremble nuit et jour ;
    Souvent enfin la mort est dans l'amour ;
    Et cependant... oui, l'amour rend heureuse !

     

    Marceline DESBORDES-VALMORE (1786 - 1859)

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