•  

    Amour m’a fait la cible de la flèche,
    Je suis neige au soleil, cire dans le feu,
    Brume que vent disperse. Ma voix s’enroue,
    Ma dame sans pitié, à vous crier « Grâce ».

    Vos yeux, c’est eux qui m’ont porté le coup mortel
    Que ne pourront ni temps ni lieu guérir,
    De vous seule dépendent, et c’est votre jeu,
    Le soleil, le feu et le vent dont je suis la proie.

    Car les pensées sont flèches, soleil est ce visage,
    Et feu est le désir. Et de ces armes
    Amour me perce, m’aveugle, me consume.

    Cependant que ce chant, ces mots dignes des anges,
    Et cette douce haleine qui me tue,
    Sont la brise qui fait que ma vie dérive.

    "Je vois sans yeux et sans bouche je crie" Pétrarque *

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  • Qui me rendra ces jours où la vie a des ailes
    Et vole, vole ainsi que l'alouette aux cieux,
    Lorsque tant de clarté passe devant ses yeux,
    Qu'elle tombe éblouie au fond des fleurs, de celles
    Qui parfument son nid, son âme, son sommeil,
    Et lustrent son plumage ardé par le soleil !

    Ciel ! un de ces fils d'or pour ourdir ma journée,
    Un débris de ce prisme aux brillantes couleurs !
    Au fond de ces beaux jours et de ces belles fleurs,
    Un rêve ! où je sois libre, enfant, à peine née,

    Quand l'amour de ma mère était mon avenir,
    Quand on ne mourait pas encor dans ma famille,
    Quand tout vivait pour moi, vaine petite fille !
    Quand vivre était le ciel, ou s'en ressouvenir,

    Quand j'aimais sans savoir ce que j'aimais, quand l'âme
    Me palpitait heureuse, et de quoi ? Je ne sais ;
    Quand toute la nature était parfum et flamme,
    Quand mes deux bras s'ouvraient devant ces jours... passés.

     

    Marceline DESBORDES-VALMORE (1786 - 1859)

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  • J’ai aimé des endroits
    où secrètement
    le soleil se laissait caresser.

    Où étaient passées des lèvres,
    où les mains avaient couru innocentes,
    le soleil brûle.

    J’ai aimé comme on brise la pierre,
    comme on se perd
    dans l’insensible floraison de l’air.

     

    Eugénio de Andrade

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  • À Frédéric Lapuchin.

    À l’heure où l’ombre noire
    Brouille et confond
    La lumière et la gloire
    Du ciel profond,
    Sur le clavier d’ivoire
    Mes doigts s’en vont.

    Quand les regrets et les alarmes
    Battent mon sein comme des flots,
    La musique traduit mes larmes
    Et répercute mes sanglots.

    Elle me verse tous les baumes
    Et me souffle tous les parfums ;
    Elle évoque tous mes fantômes
    Et tous mes souvenirs défunts.

    Elle m’apaise quand je souffre,
    Elle délecte ma langueur,
    Et c’est en elle que j’engouffre
    L’inexprimable de mon cœur.


    Elle mouille comme la pluie,
    Elle brûle comme le feu ;
    C’est un rire, une brume enfuie
    Qui s’éparpille dans le bleu.

    Dans ses fouillis d’accords étranges
    Tumultueux et bourdonnants,
    J’entends claquer des ailes d’anges
    Et des linceuls de revenants ;

    Les rythmes ont avec les gammes
    De mystérieux unissons ;
    Toutes les notes sont des âmes,
    Des paroles et des frissons.

    Ô Musique, torrent du rêve,
    Nectar aimé, philtre béni,
    Cours, écume, bondis sans trêve
    Et roule-moi dans l’infini.

    À l’heure où l’ombre noire
    Brouille et confond
    La lumière et la gloire
    Du ciel profond,
    Sur le clavier d’ivoire
    Mes doigts s’en vont.

     

    Maurice Rollinat - Les Névroses *

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  • Puisque tout ce qui est de vie
    Se relie,
    Nous nous soumettrons
    À, la marée qui emporte la lune,
    A la lune qui ramène la marée,
    Aux disparus sans qui nous ne serions pas,
    Aux survivants sans qui nous ne serions pas,
    Aux sourds appels qui diminuent,
    Aux cris muets qui continuent,
    Aux regards pétrifiés par les frayeurs
    Au bout desquelles un chant d'enfant revient}
    A ce qui revient et ne s'en va plus,
    A ce qui revient et se fond dans le noir,
    A chaque étoile perdue dans la nuit,
    A chaque larme séchée dans la nuit,
    A chaque nuit d'une vie,
    À chaque minute
    D'une unique nuit
    Où se réunit
    Tout ce qui se relie'
    A la vie privée d'oubli
    A la mort abolie

     

    François Cheng *

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