• De l'amandier tige fleurie,
    Symbole, hélas! de la beauté,
    Comme toi, la fleur de la vie
    Fleurit et tombe avant l'été.

    Qu'on la néglige ou qu'on la cueille,
    De nos fronts, des mains de l'Amour,
    Elle s'échappe feuille à feuille,
    Comme nos plaisirs jour à jour!

    Savourons ces courtes délices;
    Disputons-les même au zéphyr,
    Epuisons les riants calices
    De ces parfums qui vont mourir.

    Souvent la beauté fugitive
    Ressemble à la fleur du matin,
    Qui, du front glacé du convive,
    Tombe avant l'heure du festin.

    Un jour tombe, un autre se lève;
    Le printemps va s'évanouir;
    Chaque fleur que le vent enlève
    Nous dit : Hâtez-vous de jouir.

    Et, puisqu'il faut qu'elles périssent,
    Qu'elles périssent sans retour!
    Que ces roses ne se flétrissent
    Que sous les lèvres de l'amour!

     

    Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)

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  • Il pleure dans mon coeur
    Comme il pleut sur la ville ;
    Quelle est cette langueur
    Qui pénètre mon coeur ?

    Ô bruit doux de la pluie
    Par terre et sur les toits !
    Pour un coeur qui s’ennuie,
    Ô le chant de la pluie !

    Il pleure sans raison
    Dans ce coeur qui s’écoeure.
    Quoi ! nulle trahison ?…
    Ce deuil est sans raison.

    C’est bien la pire peine
    De ne savoir pourquoi
    Sans amour et sans haine
    Mon coeur a tant de peine !

    Paul Verlaine - Romances sans paroles (1874)

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  •  


    La vie que j’ai menée
    M’empêche de me suicider
    Tout bondit
    Les femmes roulent sous les roues
    Avec de grands cris
    Les tape-cul en éventail sont à la porte des gares.
    J’ai de la musique sous les ongles.
    Je n’ai jamais aimé Mascagni
    Ni l’art ni les Artistes
    Ni les barrières ni les ponts
    Ni les trombones ni les pistons
    Je ne sais plus rien
    Je ne comprends plus...
    Cette caresse
    Que la carte géographique en frissonne
    Cette année ou l’année prochaine
    La critique d’art est aussi imbécile que l’espéranto
    Brindisi
    Au revoir au revoir
    Je suis né dans cette ville
    Et mon fils également
    Lui dont le front est comme le vagin de sa mère
    Il y a des pensées qui font sursauter les autobus
    Je ne lis plus les livres qui ne se trouvent que dans les bibliothèques
    Bel A B C du monde
    Bon voyage !
    Que je t’emporte
    Toi qui ris du vermillon


    BLAISE CENDRARS (1887~1961) - (Dix-neuf poèmes élastiques, 1919) Avril 1914 

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  • Pendant que je suis là sur mon lit, seul et nu,
    Tendant les mains à l’inconnu;
    Cherchant dans l’ombre épaisse une forme vivante
    Pour l’étreindre de mes deux bras;
    Inventant tout ce que la solitude invente
    Pour se dédoubler dans les draps;

    Pendant que le sang bout dans tes nobles artères.

    Sceptre rutilant de mes pères;
    Pendant que je te tiens, raidi, gonflé, tendu,
    Sous l’édredon que tu soulèves;
    Pendant que je m’épuise à noyer ma vertu
    Dans l’humidité de mes rêves.
    Pendant que je tords sur mon axe viril

    Comme Saint Laurent sur son gril:
    – O femme! Qui dira la foule involontaire
    Des pucelles qu’on fait moisir?
    Qui dira les doigts blancs dont l’effort solitaire
    Gratte l’écorce du plaisir?A vous!
    Je songe à vous, chastes filles du monde

    Que nul ne titille ou ne sonde;
    Clitoris sans amour des vierges par devoir,
    Muqueuses en rut, coeur en peine,
    C’est pour vous que j’agite et que je fais pleuvoir
    Ce qui vous manque et qui me gêne.

    Car j’ai votre idéal, si vous avez le mien!

    Venez, Prenez: C’est votre bien.
    Vous pour moi, moi pour vous; qu’on aime et qu’on se serre
    Libre échange! Secours mutuel!
    Ah venez! Unissons notre double misère:
    Nos deux enfers feront un ciel.

    Au festin de l’amour nous ferons table rase.

    J’ai la liqueur et vous le vase…
    Vous tendez votre coupe à mes deux chansons.
    Moi généreux et vous avide:
    Fête ongue et vins chauds!

    A nos santés, versons
    Mon trop plein dans votre trop vide!

     

    Edmond Haraucourt -  La Légende des sexes 1883

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    Encore un peu ta bouche en pleurs, encore un peu
    Tes mains contre mon coeur et ta voix triste et basse ;
    Demeure ainsi longtemps, délicieuse et lasse,
    Auprès de moi, ma pauvre enfant, ce soir d'adieu.

    Les formes du jardin se fondent dans l'air bleu,
    Le vent propage en l'étouffant l'aveu qui passe ;
    L'heure semble éternelle au couple qui s'enlace,
    Et l'ivresse de vivre unit les chairs en feu :

    Ah ! qu'il nous faut souffrir, ce soir, ma bien-aimée !
    Doigt par doigt, jeu pensif, j'ouvre ta main fermée ;
    Nous n'osons pas songer à l'approche du jour.

    Tu sanglotes, ta calme étreinte se dénoue ;
    Et sur la pauvre humilité de notre amour
    Le ciel, nocturne paon étoilé, fait la roue.

     

    Charles GUÉRIN (1873-1907)

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