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    Éternel Féminin de l'éternel jocrisse !
    Fais-nous sauter, pantins nous pavons les décors !
    Nous éclairons la rampe... Et toi, dans la coulisse,
    Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.

    Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,
    Couronne tes genoux ! ... et nos têtes dix-corps ;
    Ris ! montre tes dents ! ... mais ... nous avons la police,
    Et quelque chose en nous d'eunuque et de recors.

    ... Ah tu ne comprends pas ? ... - Moi non plus - Fais la belle,
    Tourne : nous sommes soûls ! Et plats ; Fais la cruelle !
    Cravache ton pacha, ton humble serviteur!...

    Après, sache tomber ! - mais tomber avec grâce -
    Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! ...
    - C'est le métier de femme et de gladiateur.

    Tristan Corbiere (1845-1875)

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    Roses trop rouges de mon désir,
    Je vous effeuille au bord de cette onde
    Où venait se mirer le Plaisir
    Sous son masque usé comme le monde.

    Du bleu des monts où naît le matin
    Cent bateaux dont la poupe se bombe
    Se laissent voguer, lourds de butin,
    Vers la mer où le soleil succombe.

     
    Mon âme amante des nénufars
    Voit passer devant elle la flotte
    Brave de clairons et d’étendards
    Sans ouïr l’appel du roi-pilote.

    C’est demain le réveil en la mer
    Pour ceux-là qui descendent le fleuve.
    — Écoute les cloches de l’hiver,
    Qui sonnent pour les autres l’épreuve.

    Et prie à genoux parmi les fleurs
    Roses trop rouges que tu tortures,
    Nénufars où pleurent tes douleurs.
    Pour tous les fous de ces aventures.

    La nuit douce à tes souvenirs las
    Pose ses pas d’oubli sur la grève.
    Dors au pays des fleurs et des glas
    Et rêve que la vie est un rêve.

    Petits poèmes d’automne -  Stuart Merrill *

     

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  • Ils cassent le monde
    En petits morceaux
    Ils cassent le monde
    A coups de marteau
    Mais ça m’est égal
    Ça m’est bien égal
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez
    Il suffit que j’aime
    Une plume bleue
    Un chemin de sable
    Un oiseau peureux
    Il suffit que j’aime
    Un brin d’herbe mince
    Une goutte de rosée
    Un grillon de bois
    Ils peuvent casser le monde
    En petits morceaux
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez
    J’aurais toujours un peu d’air
    Un petit filet de vie
    Dans l’oeil un peu de lumière
    Et le vent dans les orties
    Et même, et même
    S’ils me mettent en prison
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez
    Il suffit que j’aime
    Cette pierre corrodée
    Ces crochets de fer
    Où s’attarde un peu de sang
    Je l’aime, je l’aime
    La planche usée de mon lit
    La paillasse et le châlit
    La poussière de soleil
    J’aime le judas qui s’ouvre
    Les hommes qui sont entrés
    Qui s’avancent, qui m’emmènent
    Retrouver la vie du monde
    Et retrouver la couleur
    J’aime ces deux longs montants
    Ce couteau triangulaire
    Ces messieurs vêtus de noir
    C’est ma fête et je suis fier
    Je l’aime, je l’aime
    Ce panier rempli de son
    Où je vais poser ma tête
    Oh, je l’aime pour de bon
    Il suffit que j’aime
    Un petit brin d’herbe bleue
    Une goutte de rosée
    Un amour d’oiseau peureux
    Ils cassent le monde
    Avec leurs marteaux pesants
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez, mon cœur

     

    Boris Vian

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    Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
    Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
    Tu te rappelleras la beauté des caresses,
    La douceur du foyer et le charme des soirs,
    Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

    Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
    Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
    Que ton sein m'était doux ! que ton cœur m'était bon !
    Nous avons dit souvent d'impérissables choses
    Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.

    Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
    Que l'espace est profond ! que le cœur est puissant !
    En me penchant vers toi, reine des adorées,
    Je croyais respirer le parfum de ton sang.
    Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

    La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
    Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
    Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
    Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
    La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

    Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
    Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
    Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
    Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton cœur si doux ?
    Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !

    Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
    Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,
    Comme montent au ciel les soleils rajeunis
    Après s'être lavés au fond des mers profondes ?
    - Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !

    Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal - Spleen et idéal

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