• Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
    Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
    Est fait pour inspirer au poète un amour
    Éternel et muet ainsi que la matière.

    Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
    J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
    Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
    Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

    Les poètes, devant mes grandes attitudes,
    Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
    Consumeront leurs jours en d'austères études ;

    Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
    De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
    Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

     

    Charles BAUDELAIRE 1821 - 1867 *

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  • Quelquefois sur ma tête elle met ses mains pures,
    Blanches, ainsi que des frissons blancs de guipures.

    Elle me baise au front, me parle tendrement,
    D'une voix au son d'or mélancoliquement.

    Elle a les yeux couleur de ma vague chimère,
    O toute poésie, ô toute extase, ô Mère !

    A l'autel de ses pieds je l'honore en pleurant,
    Je suis toujours petit pour elle, quoique grand.

    Emile NELLIGAN (1879-1941) *

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    Je ne réfléchis pas. Je ne me plains pas
    Je ne discute pas
    Je ne dors pas
    Je n'ai de goût ni
    Pour le soleil, ni
    Pour la lune, ni pour la mer
    Ni pour le bateau

    Je ne sens pas la chaleur entre ces murs
    Ni la fraîcheur du jardin
    Je n'attends par le cadeau attendu
    Depuis longtemps désiré

    Le matin ne me plait pas; ni
    La marche rythmée du tramway
    Je ne vois pas le jour. J'oublie
    La date. J'oublie le siècle

    La corde s'effiloche, semble t-il
    Et moi, je ne suis qu'un petit funambule
    Et moi, ombre de l'ombre de l'autre
    Somnambule aux deux lunes sombres

    13 juillet 1914

    Marina Tsvetaeva *

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    Tant gratte chèvre que mal gît,
    Tant va le pot à l'eau qu'il brise,
    Tant chauffe-on le fer qu'il rougit,
    Tant le maille-on qu'il se débrise,
    Tant vaut l'homme comme on le prise,
    Tant s'élogne-il qu'il n'en souvient,
    Tant mauvais est qu'on le déprise,
    Tant crie-l'on Noël qu'il vient.

    Tant parle-on qu'on se contredit,
    Tant vaut bon bruit que grâce acquise,
    Tant promet-on qu'on s'en dédit,
    Tant prie-on que chose est acquise,
    Tant plus est chère et plus est quise,
    Tant la quiert-on qu'on y parvient,
    Tant plus commune et moins requise,
    Tant crie-l'on Noël qu'il vient.

    Tant aime-on chien qu'on le nourrit,
    Tant court chanson qu'elle est apprise,
    Tant garde-on fruit qu'il se pourrit,
    Tant bat-on place qu'elle est prise,
    Tant tarde-on que faut l'entreprise,
    Tant se hâte-on que mal advient,
    Tant embrasse-on que chet la prise,
    Tant crie-l'on Noël qu'il vient.

    Tant raille-on que plus on n'en rit,
    Tant dépent-on qu'on n'a chemise,
    Tant est-on franc que tout y frit,
    Tant vaut "Tiens !" que chose promise,
    Tant aime-on Dieu qu'on fuit l'Eglise,
    Tant donne-on qu'emprunter convient,
    Tant tourne vent qu'il chet en bise,
    Tant crie-l'on Noël qu'il vient.

    Prince, tant vit fol qu'il s'avise,
    Tant va-il qu'après il revient,
    Tant le mate-on qu'il se ravise,
    Tant crie-l'on Noël qu'il vient.

    François Villon *

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    Je meurs de seuf auprès de la fontaine,
    Chaud comme feu, et tremble dent à dent ;
    En mon pays suis en terre lointaine ;
    Lez un brasier frissonne tout ardent ;
    Nu comme un ver, vêtu en président,
    Je ris en pleurs et attends sans espoir ;
    Confort reprends en triste désespoir ;
    Je m'éjouis et n'ai plaisir aucun ;
    Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
    Bien recueilli, débouté de chacun.

    Rien ne m'est sûr que la chose incertaine ;
    Obscur, fors ce qui est tout évident ;
    Doute ne fais, fors en chose certaine ;
    Science tiens à soudain accident ;
    Je gagne tout et demeure perdant ;
    Au point du jour dis : " Dieu vous doint bon soir ! "
    Gisant envers, j'ai grand paour de choir ;
    J'ai bien de quoi et si n'en ai pas un ;
    Echoite attends et d'homme ne suis hoir,
    Bien recueilli, débouté de chacun.

    François de Montcorbier dit Villon est un poète français de la fin du Moyen Âge. Il est probablement l'auteur français le plus connu de cette période. *

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