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Par Cruella le 21 Octobre 2021 à 09:30Adressé à mes amis.
Je pars… et dans vos mains ma main tremble et frissonne ;
Amis, c’est pour toujours que mon adieu résonne,
Que mon reg’ard rêveur sur vos traits arrêté
Se ferme à l’avenir et revoit le passé.
Je pars !… est-il bien vrai ? félicité perdue.
Voix même du bonheur qui parlait et s’est lue,
Tout s’enfuit, tout s’éteint !… Songes menteurs, mais doux,
De grâce, dites-le, faut-il vous perdre tous ?…
Faut-il vous perdre, ô soirs écoulés sur la grève
Au bruit pensif du flot que la vague soulève,
Vous, épais tourbillons des cigares brûlans,
Vapeur exaltatrice en nos cerveaux ardens,
Et qui sortiez, en feu, de nos lèvres émues,
Quand des lueurs sans nombre étincel aient aux nues ?
C’en est donc fait ?… Adieu, rêves de liberté.
Chants joyeux qu’exhalait notre jeune gaîté.
Douces discussions, intime causerie
Qui se tissait toujours de gloire et poésie,
Adieu !... car le bonheur pour moi s’est éclipsé
Dans l’océan sans fond qu’on nomme : le passé !
Oh ! souvenez-vous-en, de ce bonheur qui passe
Ainsi qu’un éclair naît et reluit et s’efface !…
Oh ! souvenez-vous-en !... il ne reviendra plus…
Et le souvenir rend les biens qu’on a perdus !…
Amis pensez à moi, quand, me perdant sur l’onde,
Je m’enfuis, isolé, chercher un autre monde ;
Son doux nom est la France, et son bord embauméMe vit, encore enfant, sur son sein amené ;
J’ai foulé ses vallons aux fleurs fraîches écloses,
Ma bouche a respiré la senteur de ses roses ;
Oh ! son tiède soleil, l’encens de ses malins
Souvent ont caressé mes loisirs enfantins
De rayons enivrants, et d’amour, et de flamme
El leur image chère est gravée en mon âme.
Je te quitte à jamais, fille de l’océan
Dont l’onde, avec amour, te baigne en souriant.
Bonheur et paix à toi, ma première patrie !
Je quitte les flots bleus à la face polie.
Et les nappes d’azur de tes cieux étoilés,
Et le féerique éclat de les soirs enflammés,
Et les larges récifs, où la lame, dans l’ombre,
Jette, aux échos des monts, son accent long et sombre,
Mais la France, à mes yeux, fait parler l’avenir.
Oh ! ma vie est pour elle !… à toi ! mon souvenir.
La brise a déployé son aile sur la houle,
Au long mât balancé la voile se déroule.
Le navire s’ébranle et son front écumeux
Au rivage attentif fait ses derniers adieux ;
Se berce avec fierté sur la vague qui gronde.
Puis salue avec grâce, en s’inclinant sur l’onde,
Et, redressant soudain ses vastes flancs brunis,
Fend d’un vol d’airain les flots qu’il a blanchis.Leconte de Lisle *
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Par Cruella le 13 Octobre 2021 à 09:40
Si ta marche attristée
S'égare au fond d'un bois,
Dans la feuille agitée
Reconnais-tu ma voix ?
Et dans la fontaine argentée,
Crois-tu me voir quand tu te vois ?
Qu'une rose s'effeuille,
En roulant sur tes pas,
Si ta pitié la cueille,
Dis ! ne me plains-tu pas ?
Et de ton sein, qui la recueille,
Mon nom s'exhale-t-il tout bas ?
Qu'un léger bruit t'éveille,
T'annonce-t-il mes vœux ?
Et si la jeune abeille
Passe devant tes yeux,
N'entends-tu rien à ton oreille ?
N'entends-tu pas ce que je veux ?
La feuille frémissante,
L'eau qui parle en courant,
La rose languissante,
Qui te cherche en mourant ;
Prends-y garde, ô ma vie absente !
C'est moi qui t'appelle en pleurant.Marceline Desbordes-Valmore
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Par Cruella le 3 Octobre 2021 à 09:30
Il est deux Amitiés comme il est deux Amours.
L'une ressemble à l'imprudence;
Faite pour l'âge heureux dont elle a l'ignorance,
C'est une enfant qui rit toujours.
Bruyante, naïve, légère,
Elle éclate en transports joyeux.
Aux préjugés du monde indocile, étrangère,
Elle confond les rangs et folâtre avec eux.
L'instinct du cœur est sa science,
Et son guide est la confiance.
L'enfance ne sait point haïr;
Elle ignore qu'on peut trahir.
Si l'ennui dans ses yeux (on l'éprouve à tout âge)
Fait rouler quelques pleurs,
L'Amitié les arrête, et couvre ce nuage
D'un nuage de fleurs.
On la voit s'élancer près de l'enfant qu'elle aime,
Caresser la douleur sans la comprendre encor,
Lui jeter des bouquets moins riants qu'elle-même,
L'obliger à la fuite et reprendre l'essor.
C'est elle, ô ma première amie !
Dont la chaîne s'étend pour nous unir toujours.
Elle embellit par toi l'aurore de ma vie,
Elle en doit embellir encor les derniers jours.
Oh ! que son empire est aimable !
Qu'il répand un charme ineffable
Sur la jeunesse et l'avenir,
Ce doux reflet du souvenir !
Ce rêve pur de notre enfance
En a prolongé l'innocence;
L'Amour, le temps, l'absence, le malheur,
Semblent le respecter dans le fond de mon cœur.
Il traverse avec nous la saison des orages,
Comme un rayon du ciel qui nous guide et nous luit :
C'est, ma chère, un jour sans nuages
Qui prépare une douce nuit.
L'autre Amitié, plus grave, plus austère,
Se donne avec lenteur, choisit avec mystère;
Elle observe en silence et craint de s'avancer;
Elle écarte les fleurs, de peur de s'y blesser.
Choisissant la raison pour conseil et pour guide,
Elle voit par ses yeux et marche sur ses pas :
Son abord est craintif, son regard est timide;
Elle attend, et ne prévient pas.
Marceline Desbordes-Valmore
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Par Cruella le 27 Septembre 2021 à 09:10Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeuxLeurs mains crevassées par les chasses marinesEt les veines éclatées de leurs pupilles bleuesPortent les songes des frêles brigantinesLes vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'IrlandeRetraités, usant les bancs au levant des chaumièresLeurs dents mâchonnant des refrains deMarie-GalanteIls lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturièresLes vieux de chez moi sont fils de naufrageursLeurs crânes pensifs roulent les trésors inouïsDes voiliers brisés dans les goémons rageursEt luisent leurs regards comme des louisLes vieux de chez moi n'attendent rien de la vieIls ont jeté les ans, le harpon et la nasseMangé la cotriade et siroté l'eau-de-vieLa mort peut les prendre, noire comme la pinasseLes vieux ne bougeront pas sur le banc fatiguéObservant le port, le jardin, l'hortensiaIls diront simplement auxJeannie, auxMaria «Adieu les belles, c'est le branle-bas »Et les femmes des marins fermeront leurs voletsXavier Grall *
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Par Cruella le 1 Septembre 2021 à 09:30
Si vous saviez, passants, attirés
Par d'autres regards charmants
Que le mien, que de feu j'ai brûlé
Que de vie j'ai vécu pour rienQue d'ardeur, que de fougue donnée
Pour une ombre soudaine ou un bruit...
Et mon coeur, vainement enflammé,
Dépeuplé, retombant en cendresÔ, les trains s'envolant dans la nuit
Qui emportent nos rêves de gare...
Sauriez-vous tout cela, même alors,
Je le sais, vous ne pourriez savoirPourquoi ma parole est si brusque
Dans l'éternelle fumée de cigarettes
Et combien de tristesse noire
Gronde sous mes cheveux clairsmai 1913
Marina Tsvetaeva *
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