• On ne sait pourquoi cet homme prit naissance.
    Et pourquoi mourut-il ? On ne l'a pas connu.
    Il vint nu dans ce monde, et, pour comble de chance,
    Partit comme il était venu.

    La gaîté, le chagrin, l'espérance, la crainte,
    Ensemble ou tour à tour ont fait battre son coeur.
    Ses lèvres n'ignoraient le rire ni la plainte.
    Son oeil fut sincère et moqueur.

    Il mangeait, il buvait, il dormait ; puis, morose,
    Recommençait encor dormir, boire et manger ;
    Et chaque jour c'était toujours la même chose,
    La même chose pour changer.

    Il fit le bien, et vit que c'était des chimères.
    Il fit le mal ; le mal le laissa sans remords.
    Il avait des amis ; amitiés éphémères !
    Des ennemis ; mais ils sont morts.

    Il aima. Son amour d'une autre fut suivie,
    Et de plusieurs. Sur tout le dégoût vint s'asseoir.
    Et cet homme a passé comme passe la vie
    Entrez, sortez, et puis bonsoir !

    Jean RICHEPIN (1849-1926) *

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  • Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
    Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers,
    Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
    Ont de douces langueurs et des frissons amers.

    Les unes, coeurs épris des longues confidences,
    Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
    Vont épelant l'amour des craintives enfances
    Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;

    D'autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves
    A travers les rochers pleins d'apparitions,
    Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
    Les seins nus et pourprés de ses tentations ;

    Il en est, aux lueurs des résines croulantes,
    Qui dans le creux muet des vieux antres païens
    T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
    Ô Bacchus, endormeur des remords anciens !

    Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires,
    Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,
    Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
    L'écume du plaisir aux larmes des tourments.

    Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
    De la réalité grands esprits contempteurs,
    Chercheuses d'infini, dévotes et satyres,
    Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

    Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
    Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains,
    Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
    Et les urnes d'amour dont vos grands coeurs sont pleins !

     

    Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

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  •  

    J’aspire auprès de toi le silence et le charme
    Des nuits où la douleur se plaît à demeurer,
    Toi qu’on ne voit jamais essuyer une larme,
    Mais dont parfois j’entends la grande âme pleurer.

    Le cristal réfléchit tes chastes attitudes,
    Et tu fuis le factice et le faste et le fard.
    Tes lèvres ont le pli muet des solitudes
    Et l’accent des bonheurs qui nous viennent trop tard.

     


    Le décor de ton rêve est la chambre sereine
    Où meurt languissamment le bruit lointain des eaux.
    Les souffles de la mer n’ont soulevé qu’à peine
    Le soir perpétuel sous l’ombre des rideaux.

    Iône ou Viola, ton nom d’Inspiratrice
    Évoque les sons d’orgue et les graves couleurs.
    Tu pares les jardins, et, comme Béatrice,
    Tu sembles émerger d’un nuage de fleurs.

    Vers toi le songe pur de mon âme s’élève,
    Mon angoisse ne cherche point à s’apaiser,
    Car tu m’es inconnue et n’existes qu’en rêve,
    Et je n’apprendrai pas le goût de ton baiser.

    Evocation, Renée Vivien *

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  • Un visage
    Traversé
    Par hasard
    Désormais
    unique

    Un visage
    Reconnu
    Entre tous
    Désormais
    unique

    L’univers
    Répondant
    À un nom
    Prend visage
    et sens

    Où tu es
    Ou n’es pas
    Tout n’est plus
    Que présence
    absence

     

    François Cheng

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  • Que m’importe que tu sois sage ?
    Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
    Ajoutent un charme au visage,
    Comme le fleuve au paysage ;
    L’orage rajeunit les fleurs.

    Je t’aime surtout quand la joie
    S’enfuit de ton front terrassé ;
    Quand ton cœur dans l’horreur se noie ;
    Quand sur ton présent se déploie
    Le nuage affreux du passé.

    Je t’aime quand ton grand œil verse
    Une eau chaude comme le sang ;
    Quand, malgré ma main qui te berce,
    Ton angoisse, trop lourde, perce
    Comme un râle d’agonisant.

    J’aspire, volupté divine !
    Hymne profond, délicieux !
    Tous les sanglots de ta poitrine,
    Et crois que ton cœur s’illumine
    Des perles que versent tes yeux !

    Charles Baudelaire - Nouvelles Fleurs du Mal

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