-
Par Cruella le 18 Avril 2019 à 09:56
Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,
Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.
La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
Ah ! maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.
Pour le bal qu'on prépare,
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s'endormant ;
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin.
Et qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?
Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté !Alfred de MUSSET (1810-1857)
votre commentaire -
Par Cruella le 7 Avril 2019 à 22:24
Une dentelle s’abolit
Dans le doute du Jeu suprême
A n’entrouvrir comme un blasphème
Qu’absence éternelle de lit.
Cet unanime blanc conflit
D’une guirlande avec la même,
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus qu’il n’ensevelit.
Mais chez qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien
Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien,
Filial on aurait pu naître.Stéphane Mallarmé *
votre commentaire -
Par Cruella le 31 Mars 2019 à 12:04
Entre ce que je vois et dis,
entre ce que je dis et tais,
entre ce que je tais et rêve,
entre ce que je rêve et oublie,
la poésie.
Elle glisse
entre le oui et le non :
elle dit
ce que je tais,
elle tait
ce que je dis,
elle rêve
ce que j'oublie.
Elle n'est pas un dire :
elle est un faire.
Elle est un faire
qui est un dire.
La poésie
se dit et s'entend :
elle est réelle.
Et à peine dis-je
" elle est réelle ",
qu'elle se dissipe.
Est-elle ainsi plus réelle ?Idée palpable,
mot
impalpable :
La poésie
sème des yeux sur la page,
sème des mots dans les yeux.
Les yeux parlent,
les mots regardent,
les regards pensent.
Entendre
les pensées,
voir
ce que nous disons,
toucher
le corps de l'idée.
Les yeux
se ferment,
les mots s'ouvrent.Octavio Paz *
votre commentaire -
Par Cruella le 23 Mars 2019 à 13:36
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guiseCharles Baudelaire *
votre commentaire -
Par Cruella le 9 Mars 2019 à 11:00
Le 30 avril 1933 mourait la Comtesse Anna DE NOAILLES, poétesse française d’origine roumaine. Son œuvre, également composée de romans, est un formidable témoignage de la féminité dans la littérature. Elle fut aussi l’animatrice d’un des salons littéraires les plus brillants de son temps. André Gide disait d’elle : « Il faudrait beaucoup se raidir pour ne pas tomber sous le charme de cette extraordinaire poétesse au cerveau bouillant et au sang froid. »
L’ardeur
Rire ou pleurer, mais que le coeur
Soit plein de parfums comme un vase,
Et contienne jusqu’à l’extase
La force vive ou la langueur.
Avoir la douleur ou la joie,
Pourvu que le coeur soit profond
Comme un arbre où des ailes font
Trembler le feuillage qui ploie ;
S’en aller pensant ou rêvant,
Mais que le coeur donne sa sève
Et que l’âme chante et se lève
Comme une vague dans le vent.
Que le coeur s’éclaire ou se voile,
Qu’il soit sombre ou vif tour à tour,
Mais que son ombre et que son jour
Aient le soleil ou les étoiles…
Anna de Noailles *
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique