•  

     

    Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

    Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.

    Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise

    Charles Baudelaire *

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Le 30 avril 1933 mourait la Comtesse Anna DE NOAILLES, poétesse française d’origine roumaine. Son œuvre, également composée de romans, est un formidable témoignage de la féminité dans la littérature. Elle fut aussi l’animatrice d’un des salons littéraires les plus brillants de son temps. André Gide disait d’elle : « Il faudrait beaucoup se raidir pour ne pas tomber sous le charme de cette extraordinaire poétesse au cerveau bouillant et au sang froid. »


    L’ardeur
    Rire ou pleurer, mais que le coeur
    Soit plein de parfums comme un vase,
    Et contienne jusqu’à l’extase
    La force vive ou la langueur.
    Avoir la douleur ou la joie,
    Pourvu que le coeur soit profond
    Comme un arbre où des ailes font
    Trembler le feuillage qui ploie ;
    S’en aller pensant ou rêvant,
    Mais que le coeur donne sa sève
    Et que l’âme chante et se lève
    Comme une vague dans le vent.
    Que le coeur s’éclaire ou se voile,
    Qu’il soit sombre ou vif tour à tour,
    Mais que son ombre et que son jour
    Aient le soleil ou les étoiles…


    Anna de Noailles *

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    De la Rose de Marbre a la Rose de Fer

     

    La rose de marbre immense et blanche était seule sur la place déserte où les ombres se prolongeaient à l'infini.
    Et la rose de marbre seule sous le soleil et les étoiles était reine de la solitude.

    Et sans parfum la rose de marbre sur sa tige rigide au sommet du piédestal de granit ruisselait de tous les flots du cieL
    La lune s'arrêtait pensive en son cœur glacial et les déesses des jardins les déesses de marbre à ses pétales venaient éprouver leurs seins froids.

    La rose de verre résonnait à tous les bruits du Littoral
    Il n'était pas un sanglot de vague brisée qui ne la fît vibrer.
    Autour de sa tige fragile et de son cœur transparent des arcs-en-ciel tournaient avec les astres.
    La pluie glissait en boules délicates sur ses feuilles que parfois le vent faisait gémir à l'effroi des ruisseaux et des vers luisants.

    La rose de charbon était un phénix nègre que la poudre transformait en rose de feu.
    Mais sans cesse issue des corridors ténébreux de la mine où les mineurs la recueillaient avec respect pour la transporter au jour dans sa gangue d'anthracite la rose de charbon veillait aux portes du désert,

    La rose de papier buvard saignait parfois au crépuscule quand le soir â son pied venait s'agenouiller.
    La rose de buvard gardienne de tous les secrets et mauvaise conseillère saignait un sang plus épais que l'écume de mer et qui n'était pas le sien.

    La rose de nuages apparaissait sur les villes maudites à l'heure des éruptions de volcans à l'heure des incendies à l'heure des émeutes et au-dessus de Paris quand la Commune y mêla les veines irisées du pétrole et l'odeur de la poudre.
    Elle fut belle au 21 janvier belle au mois d'octobre dans le vent froid des steppes belle en 1905 à l'heure des miracles à l'heure de l'amour.

    La rose de bois présidait aux gibets.
    Elle fleurissait au plus haut de la guillotine puis dormait dans la mousse à l'ombre immense des champignons.

    La rose de fer avait été battue durant des siècles par des forgerons d'éclairs.
    Chacune de ses feuilles était grande comme un ciel inconnu.
    Au moindre choc elle rendait le bruit du tonnerre.
    Mais qu'elle était douce aux amoureuses désespérées la rose de fer.

    La rose de marbre la rose de verre la rose de charbon la rose de papier buvard la rose de nuages la rose de bois la rose de fer refleuriront toujours mais aujourd'hui elles sont effeuillées sur ton tapis.

    Qui es-tu ? toi qui écrases sous tes pieds nus les débris fugitifs de la rose de marbre de la rose de verre de la rose de charbon de la rose de papier buvard de la rose de nuages de la rose de bois de la rose de fer.

    Robert Desnos

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    L'Iris



    Je t'apporte un iris cueilli dans une eau sombre
    Pour toi, nymphe des bois, par moi, nymphe de l'eau,
    C'est l'iris des marais immobiles, roseau
    Rigide, oú triste, oscille une fleur lourde d'ombre.

    J'ai brisé, qui semblait un bleu regard de l'air,
    L'iris du silence et des fabuleux rivages;
    J'ai pris la tige verte entre mes doigts sauvages
    Et j'ai mordu la fleur comme une faible chair.

    Les gestes et les fleurs, ô sereine ingénue,
    Parleront pour ma bouche impatiente et nue,
    Où brûlent mes désirs et l'espoir de tes mains:
    Accueille ici mon âme étrangement fleurie
    Et montre á mes pieds par quels obscurs chemins
    Je mêlerai ta honte á ma vaste incurie.

    Pierre Louÿs "Les chansons de Bilitis" *

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Je baiserai d'un bout à l'autre les longues ailes
    noires de ta nuque, ô doux oiseau, colombe prise, dont
    le coeur bondit sous ma main.

    Je prendrai ta bouche dans ma bouche comme un
    enfant prend le sein de sa mère. Frissonne !...
    car le baiser pénètre pofondément et suffirait à l'amour.

    Je promènerai ma langue légère sur tes bras,
    autour de ton cou, et je ferai tourner sur tes côtes
    chatouilleuses la caresse étirante des ongles.

    Ecoute bruire en ton oreille toute la rumeur de la
    mer... Mnasidika ! ton regard me fait mal. J'enfermerai
    dans mon baiser tes paupières brûlantes comme des lèvres.

    Pierre Louÿs - Les chansons de Bilitis

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique